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Gilles Carnoy logo Carnet de route en Droit Immobilier

Carnoy & Braeckeveldt, avocats de l’immobilier à Bruxelles

Actus du jour

Rattrapage pour le bailleur commercial

Le preneur peut demander le renouvellement du bail commercial dans les termes et conditions de l’article 14 de la loi du 30 avril 1951.

Le bailleur peut refuser pour les raisons de l’article 16, I, 1° à 4°06 mai 2022.

Si le juge déclare injustifié le refus du bailleur de consentir au renouvellement, le bail est renouvelé au preneur.

Mais le bailleur peut encore se « rattraper ».

L’article 24 prévoit en effet que, dans ce cas, le bailleur peut encore prétendre à des conditions différentes ou se prévaloir de l’offre d’un tiers, conformément aux articles 14 et 21.

Mais il doit le faire dans un délai d’un mois à partir de la signification du jugement qui, justement invalidait son refus.

De quel jugement s’agit-il s’il y a appel ? Le premier jugement, dont appel, ou le jugement d’appel ?

La Cour de cassation a répondu à cette question par un arrêt du 6 mai 2022 (rôle n° C.21.0501.F).

« Ce jugement est celui qui n’est plus susceptible des recours ordinaires. »

Il faut donc attendre l’issue de l’appel.

TVA au taux réduit sur le gaz pour les copropriétés aussi

Un arrêté royal du 23 mars 2022 a réduit temporairement la TVA à 6% sur la livraison de l’électricité et du gaz pour la période du 1er avril au 30 septembre 2022.

Il s’agit de soutenir les ménages en raison de la brutale hausse des prix que l’énergie a connu récemment.

L’arrêté royal distingue les contrats résidentiels et les contrats professionnels. La mesure ne vise que les contrats résidentiels.

Or les contrats des copropriétés étaient considérées comme des contrats professionnels.

Les ACP ne pouvaient dès lors pas bénéficier de la TVA au taux réduit de 6% sur le gaz.

C’est parfaitement injuste car les copropriétés réunissent généralement des ménages, soit des entités non professionnelles.

Le Prof. Damien Ernst de l’Université de Liège s’en est ému.

C’est un intellectuel connu et très écouté dans le domaine de l’énergie. C’est lui le premier qui a tiré la sonnette d’alarme sur le risque de sortir du nucléaire.

Bien lui en prit, cela nous a évité de nous retrouver pieds et poings liés envers la dictature russe.

Le Prof. Ernst a été écouté. Le cabinet de la ministre de l’Energie a déclaré « Oui, l’accord prévoit que toutes les copropriétés vont pouvoir bénéficier également de la baisse de la TVA à 6 % ».

Ce changement sera effectif dès le 1er juillet 2022.

Dans la foulée, le gouvernement fédéral a décidé de prolonger la mesure jusqu’au 31 décembre 2022.

Démembrement avant et remembrement après

Des sociétés A et B du même groupe ont réalisé un split sale avant l’entrée en vigueur du nouvel article 18, § 2, C. enreg., relatif à l’abus fiscal.

Ce split sale avait été validé in tempore par le SDA.

Après travaux, les société vendent le bien à des tiers acquéreurs non liés. Ces ventes reconstituent la propriété.

La question est de savoir comment les opérations seront taxées.

Dans une décision anticipée n° 2022.0017 du 15 février 2022, le SDA constate que le point de départ de l’ensemble des opérations est antérieur au 1er juin 2012, date de l’entrée en vigueur de la loi-programme I du 29 mars 2012.

L’unité d’intention ne peut être retenue si le point de départ de l’ensemble des opération a lieu avant le 1er juin 2012.

L’actuel article 18, § 2, ne peut donc trouver à s’appliquer.

Les sociétés A et B ont effectué les travaux et revendent le bien à des tiers acquéreurs non liés.

Le droit de 12,5 % sera applicable à la vente du tréfond aux tiers acquéreurs par le société A, sur son prix (ou sa valeur vénale) amputé de l’emphytéose.

Le droit de 2 % sera applicable à la cession du droit d’emphytéose aux tiers acquéreurs par la société B, sur son prix et sur les redevances restant à courir.

La valeur conventionnelle des constructions érigées par l’emphytéote seront taxées aux taux de 12,5 %.

Toutefois, ce dernier point n’est pas d’application si les constructions sont vendues en régime TVA, auquel cas les droits proportionnels d’enregistrement ne sont pas dus.

Rappelons que le SDA ne se prononce pas sur les valorisations proposées par l’emphytéote et le tréfoncier.

Le remembrement entre les mains des tiers acquéreurs ne peut être considéré comme un abus fiscal.

Décision anticipée n° 2022.0017 du 15 février 2022 (Fisc. Juin 2022, p. 249).

N’abusons pas des RU

Insistons sur la faible qualité contractuelle des clauses de condition suspensive de renseignements urbanistiques (RU) exempts d’infraction urbanistique.

Les RU ne constituent pas le statut urbanistique de l’immeuble ; seul un permis ou un certificat peut réaliser la situation urbanistique (ou, à défaut, les données planologiques).

Bien souvent, les RU ne sont qu’une information, sans analyse ni décision, sur la confrontation entre la situation de fait déclarée par le plan annexé à la demande de RU et les permis disponibles (Doc. Parl., Brux., sess. 2016-2017, n° A-451/1, p. 148).

Les RU ne créent pas une situation de droit et ne font pas preuve d’infraction sauf lorsqu’ils mentionnent les PV de constat délivrés.

Une différence entre la situation de droit et la situation de fait ne traduit pas nécessairement une situation infractionnelle, car ces données doivent encore être analysées en fonction du droit applicable à l’époque des faits ou du droit actuel en raison de l’application de la loi la plus favorable en matière d’infraction.

Les RU ne constituent donc pas une référence décisive de l’évènement conditionnel d’absence d’infraction d’urbanisme, et cela peut prêter à confusion et à litige.

Enfin, une construction infractionnelle (sans permis) antérieure à l’entrée en vigueur de la loi du 29 mars 1962, est prescrite car à cette époque l’infraction de maintien n’existait pas.

On se trouve alors devant un bien grevé d’une infraction qui ne peut plus être l’objet de poursuite.

 

Acquérir des droits indivis dans un immeuble

La cession de ses droits par un indivisaire n’est que conditionnelle car elle dépend du partage à intervenir entre les indivisaires.

Un arrêt du 22 décembre 2006 de la Cour de cassation (R.W., 2006-2007, p.  1411, note S.  Mosselmans) porte sur la situation suivante.

Deux des quatre enfants avaient vendu à un tiers leur part indivises dans l’immeuble relevant de la masse successorale.

Plus tard, les deux autres héritiers poursuivent le partage.

La Cour d’appel d’Anvers juge que l’indivision ne lie plus les quatre héritiers, mais seulement ceux qui n’ont pas cédé leur part.

La Cour de cassation casse cet arrêt pour violation de l’article 883 de l’ancien Code civil.

Selon la Cour, lorsque le bien dont une part est vendue « appartient à une succession plus étendue, cette vente a toujours un caractère conditionnel et est subordonnée à la liquidation-partage finale de la succession ».

Le tiers acquéreur ne dispose donc pas de droits définitifs.

La Cour de cassation précise encore qu’en raison du caractère conditionnel de la vente, l’acheteur ne peut faire valoir aucun droit en qualité de copartageant, mais qu’il peut, par contre, surveiller le partage en tant que créancier du vendeur, suivant l’article 882 de l’ancien Code civil.

L’effet dévolutif (art. 4.102 du nouveau Code civil) a été assoupli par la loi du 31 juillet 2017 en ce qui concerne les successions mais le principe appliqué par l’arrêt de la Cour de cassation du 22 décembre 2006 reste d’actualité.

Le nouvel article 3.17 vient-il au secours du tiers évincé créancier en garantie d’éviction ?  S’il est de bonne foi, seulement. Tout dépend donc de la précision de l’origine de propriété dans l’acte.

Infraction d’urbanisme et confiscation des loyers

Le propriétaire commet  une infraction d’urbanisme lorsqu’il augmente le nombre de logements d’un immeuble sans se voir préalablement délivrer un permis à cet effet.

Le tribunal qui est appelé à sanctionner cette infraction peut ordonner la confiscation des avantages obtenus à l’aide de l’infraction.

C’est ainsi que le tribunal correctionnel peut condamner à la confiscation des loyers perçus de la location d’unités de logement non reconnues par un permis d’urbanisme.

C’est une peine redoutable lorsque le contrevenant a financé les travaux de division et entendait rembourser au moyen des loyers.

La question qui se pose souvent est la manière de fixer l’avantage patrimonial tiré de l’infraction.

Un arrêt de la Cour de cassation du 15 décembre 2021 (rôle n° P.21.0976.F, www.juportal.be)  répond à cette question.

D’après le moyen, pour calculer l’avantage patrimonial tiré de l’infraction, il fallait, non pas additionner les loyers obtenus grâce aux unités de logement aménagées sans permis, mais comparer les montants obtenus par les demandeurs avec les gains qu’ils auraient réalisés de toute manière en louant l’immeuble conformément à sa destination initiale d’immeuble de rapport.

La Cour répond sobrement :

« Le juge répressif décide souverainement en fait qu’un avantage patrimonial sur lequel porte la confiscation spéciale a été tiré directement d’une infraction. La Cour vérifie si, sur la base de cette appréciation souveraine, le juge n’a pas méconnu la notion légale d’avantage patrimonial.

Les juges d’appel ont pu considérer que le profit licite rapporté, au cours d’une période déterminée, par un immeuble divisé légalement en six appartements équivaut au total des loyers perçus durant cette période pour les six unités. Partant, ils ont pu identifier l’actif illicite aux loyers obtenus grâce aux logements surnuméraires illégalement aménagés dans le même immeuble. »

Cette manière de voir me semble peu réaliste et inexactement sévère. Un avantage patrimonial n’est jamais un revenu brut.

L’exception de surséance n’est pas patiente

En vertu de l’article 3 de la Loi hypothécaire, toute demande, quel que soit son mode d’introduction, tendant à faire prononcer l’annulation ou la révocation de droits résultant d’actes soumis à transcription hypothécaire doit faire l’objet d’une mention en marge de l’acte concerné, à la conservation des hypothèques.

L’article 3 de la loi hypothécaire est applicable lorsque l’acte constatant le droit dont l’anéantissement est postulé a effectivement été transcrit ou était susceptible de l’être car il satisfaisait aux formes prescrites par l’article 2 de cette loi : acte authentique, jugement ou acte sous seing privé reconnu en justice ou devant notaire. »

Si l’acte concerné n’a pas été transcrit, la demande fera l’objet d’une « mention dans le corps des registres de la conservation des hypothèques » (S. Boufflette, « Servitudes du fait de l’homme. Chronique de jurisprudence 2008-2014 », CUP n° 152, Bruxelles, Larcier, 2014, p. 126 qui cite Cass. 6 septembre 1991, Rev. not. b., 1993, 44, note J. Ledoux).

L’article 3 de la loi hypothécaire étant d’ordre public, le juge doit vérifier d’office que la formalité a été accomplie et doit, le cas échéant, soulever d’office son application, en respectant les droits de la défense (Cass., 16 mars 2009, rôle n° C.08.0404.N., www.juportal.be).

L’inscription d’une demande ayant le même objet et la même cause, introduite dans l’exercice d’une autre procédure, n’est pas suffisante pour répondre à l’obligation découlant de cette disposition (Cass., 20 avril 2001, rôle n° C.99.0130.N., www.juportal.be).

En règle, la sanction dont la formalité prévue par l’article 3 de la loi hypothécaire est assortie correspond à une fin de non procéder.

Toutefois, selon la Cour de cassation (Cass., 5 janvier 2012, Pas., 2012, I, p. 20) :

« Dès lors que l’exception de non-inscription marginale est d’ordre public, la partie qui se défend contre la demande soumise à l’inscription marginale peut invoquer cette exception à chaque stade de la procédure jusqu’à la clôture des débats. Si la partie dont la demande est soumise à une inscription marginale, ne procède pas à la régularisation en faisant ultérieurement une inscription marginale, le juge qui est saisi de la cause doit, en principe, rejeter la demande comme étant irrecevable. Cela n’empêche pas qu’en cas de contestation sur la nécessité d’une inscription marginale le juge qui considère qu’elle est requise doit permettre au demandeur de remplir cette obligation. »

La 11ième chambre du tribunal de première instance francophone de Bruxelles (7 juin 2021, R.G. n° 19/2492/A) a eu à connaître d’une affaire dans laquelle le défendeur avait soulevé l’exception de surséance dans ses premières conclusions puis dans ses deuxièmes écritures.

Le demandeur n’avait pas contesté la formalité mais n’y avait pas procédé.

Le tribunal n’a pas hésité : « Dès lors qu’il a été mis en mesure de régulariser la situation mais a négligé de le faire, sa demande doit être déclarée irrecevable ».

Des frais notariés plus transparents et plus accessibles lors d’une acquisition immobilière ?

Pour la majorité des actes authentiques, mais également pour d’autres prestations ou formalités liées à un acte, les notaires appliquent des honoraires réglementés qui ont été fixés par un arrêté royal du 16 décembre 1950. Ces tarifs n’ont plus été révisés depuis décembre 1980.

Le secteur n’avait donc plus connu d’adaptation depuis quarante ans.

L’Observatoire des prix (SPF Économie) s’est attelé à une analyse financière du secteur notarial en Belgique et avait conclu, en avril 2021, que la réglementation des honoraires était devenue obsolète en ce que les tarifs réglementés ne tenaient pas compte de l’évolution sociétale de l’activité notariale.

L’Observatoire a donc estimé qu’il était intéressant d’évaluer la cohérence entre le niveau des tarifs, réglementés et non réglementés, et les coûts actuels supportés par le notaire, compte tenu de ce que la situation du notariat avait fortement évolué depuis 1980 avec l’informatisation, les simplifications administratives et la dématérialisation des échanges qui ont permis aux notaires de réaliser des gains de productivité.

En matière de vente immobilière, plus précisément, l’étude a relevé que les honoraires des notaires liés aux actes de ventes ont pour leur part évolué plus rapidement que l’inflation totale en raison de la forte augmentation des prix de l’immobilier et de la hausse du nombre de transactions.

Qu’est-il ressorti de ce constat ?

Le 25 février 2022, le Conseil des ministres a approuvé un projet d’arrêté royal qui vise à modifier l’actuel arrêté relatif aux honoraires des notaires afin de l’adapter aux évolutions sociales et d’offrir plus de transparence.

Actuellement, les tarifs applicables dans le cadre d’un acte de vente immobilière de gré à gré sont proportionnels et dégressifs par tranche (ils diminuent au fur et à mesure que le montant de l’opération augmente).

Les acquéreurs doivent payer des honoraires du notaire ainsi que des frais administratifs, tant pour l’acte d’achat que pour l’acte de crédit.

Les frais administratifs couvrent les dépenses du notaire pour les recherches que la loi impose (recherches fiscales, urbanistiques, cadastrales, hypothécaires, relatives à l’état du sol, au syndic, et autres) et les frais qui en résultent (copies, attestations, etc.).

Aujourd’hui, les frais administratifs sont fixés librement.

Les notaires demandent aussi des frais qui ne sont pas des débours.

Ces frais forfaitaires constituent une contribution à leurs frais généraux. Cette pratique se concilie mal avec la tarification légale des honoraires si on peut  voir un honoraire déguisé dans ces montants.

La réforme devrait entrer en vigueur au 1er janvier 2023.

Clause d’adaptation du loyer commercial

Dans le bail commercial on peut convenir d’un loyer progressif, c’est-à-dire un loyer qui est prévu, dès le début, pour évoluer dans le temps.

L’hypothèse classique est la gratuité ou la semi gratuité durant les premières années pour permettre au preneur d’exécuter des travaux.

Se pose parfois la nécessité de prévoir un mode de révision du loyer, surtout dans le bail de plus de neuf années. Il se peut en effet que le marché locatif évolue plus vite que l’indice santé.

En règle, le loyer évolue légalement de la manière suivante :

  1. La clause d’indexation encadrée par l’article 1728 de l’ancien Code civil qui adapte annuellement le loyer au coût de la vie,
  2. La révision du loyer qui adapte le loyer aux circonstances nouvelles le modulant d’au moins 15 % à la hausse ou à la baisse.

La révision de l’article 6 est impérative en faveur des deux parties (Cass., 25 avril 2003, Pas., I, p. 877).

On ne peut donc y déroger en plus ou en moins car la situation de l’une ou l’autre des parties sera affectée (B. Louveaux, « Le droit du bail commercial », Larcier, Bruxelles, 2011, p. 308).

La question est de savoir si une autre révision peut être convenue, qui déroge aux conditions légales, à savoir :

  1. Provoquée par des circonstances nouvelles,
  2. En raison d’une variation de plus de 15 %,
  3. Avec une appréciation du juge en équité.

Les auteurs et la jurisprudence sont divisés.

Pour certains on ne peut déroger au régime légal ; pour d’autre on peut y ajouter mais pas le restreindre.

Je vous fais grâce du relevé des décisions en sens divers car, depuis, l’arrêt de la Cour de cassation du 25 avril 2003, la doctrine récente penche pour l’interdiction (Ch.-Ed. de Frésart, « Les aspects financiers du bail commercial », in Le bail commercial, La Charte, Bruxelles, 208, p. 136).

Cela ne signifie pas que le bail ne puisse contenir une clause de loyer évolutif (par exemple + 5 % tous les neuf ans). Mais l’automaticité de cette clause la distingue d’un mécanisme de révision.

Je partage l’opinion selon laquelle l’article 6 encadre impérativement la révision, prohibant une autre forme d’adaptation.

Toutefois, la révision se conçoit comme une adaptation à ce que les parties n’ont pu prévoir.

Si le bail contient une clause répondant à un fait générateur prévisible ou connu à la conclusions du bail, au moins en son principe, on se situe en dehors du champ d’application de l’article 6.

Il n’est alors plus question de régime concurrent et la prohibition ne s’applique pas.

Ce sera le cas si une évolution est attendue du fait de travaux dans l’environnement ou un aménagement urbanistique attendu (un schéma directeur pour un piétonnier, par exemple).

En conclusion la clause de révision s’écartant de l’article 6 est en principe prohibée.

Mais si son fait générateur particulier est prévisible à la conclusions du bail, un mode de révision peut être mis en place.

On se situe alors davantage dans le registre de la majoration / minoration sous condition suspensive que dans celui de la révision.

L’imprévision

En vertu de la théorie de l’imprévision, une convention peut, nonobstant le principe de la convention-loi, être adaptée lorsque des circonstances, inexistantes au moment de la conclusion du contrat et totalement imprévisibles, viennent en bouleverser l’économie rendant l’exécution de la convention exceptionnellement lourde.

La théorie de l’imprévision est rejetée en droit belge car elle n’a pas de fondement légal autonome, du moins actuellement car cela changera avec le livre 5 (art. 5.74 sur le « changement de circonstances »).

Certes, une certaine doctrine défend cette théorie (D. Philippe, « Le juge et la révision du contrat : le bouleversement de l’économie contractuelle », in Le juge et le contrat / De rol van de rechter in het contract, die Keure, la Charte, 2014, pp. 11 et s.).

Mais la jurisprudence est réticente (Cass., 14 avril 1994, Pas., 1994, I, p. 65).

Il est bien exact que la théorie de l’imprévision n’a pas de fondement juridique autonome, mais il existe le principe général de l’exécution de bonne foi des contrats qui peut prohiber l’abus d’un droit résultant du contrat.

Ce principe peut dans certaines circonstance s’opposer à la règle pacta sunt servanda.

Le respect des accords est un principe fondamental du droit. L’économie s’est développée sur la notion de l’intangibilité des contrats qui, une fois conclus, doivent être respectés.

C’est si vrai que le Code civil utilise tantôt des formules solennelles (« la loi des parties », art. 1134, alinéa 1, du Code civil), tantôt des formules religieuses (« la foi due aux actes », art. 1320).

La rigueur contractuelle n’est tempérée que par l’obligation, à consonance morale cette fois, de « l’exécution de bonne foi des obligations » déposée dans l’article 1134, alinéa 3.

Ce tempérament peut amener les tribunaux à tenir compte de circonstances imprévues pour remodeler le contrat.

La Cour d’appel de Liège a eu à connaître d’un conflit entre un producteur et un revendeur.

Le marché de destination s’était retourné (chute du dollar et modification des tarifs douaniers dans les pays de la CEI) de sorte que le revendeur ne pouvait retirer la marchandise qu’il ne parvenait plus à revendre.

Le producteur réclamait de considérables indemnités contractuelles.

Confrontée à cette demande, la Cour d’appel de Liège  (21 décembre 2001, J.T. 2002, p. 564) a décidé que « le principe d’exécution de bonne foi des conventions s’oppose à ce que le créancier, malgré le bouleversement de l’économie contractuelle que les deux parties pouvaient prévoir, continue d’exiger le respect de l’accord primitif allant jusqu’à la ruine de du débiteur. »

« Une partie, ajoute l’arrêt, poursuivant l’exécution d’un contrat devenu radicalement déséquilibré dans son économie, au grand désavantage du cocontractant, pourrait en effet être considéré comme abusant de son droit, dans les circonstances précises du cas d’espèce. »

Comme dit plus haut, les choses vont évoluer avec le livre 5 du nouveau Code civil.

Les règles prévues à l’article 5.74 du livre 5 sur le « changement de circonstances » (imprévision) visent à corriger un déséquilibre qui n’existait pas dès le moment de la conclusion du contrat, mais qui apparaît par la suite dans le contrat.

Il y a aussi la notion d’abus de circonstances dont question à l’article 5.33, alinéa 3, du livre 5, qui s’ajoute au vice de consentement : « Il n’y a pas de consentement valable lorsqu’il est la conséquence d’une erreur, d’un dol, d’une violence ou d’un abus de circonstances, pour autant que le vice de consentement soit déterminant. »

Les conséquences sont toutefois comparables dans les deux situations puisque, dans l’imprévision, le juge peut adapter le contrat si les parties ne se mettent pas d’accord.

Voyons cette (future) disposition :

Art. 5.74. Changement de circonstances

Chaque partie doit exécuter ses obligations quand bien même l’exécution en serait devenue plus onéreuse, soit que le coût de l’exécution ait augmenté, soit que la valeur de la contre-prestation ait diminué.

Toutefois, le débiteur peut demander au créancier de renégocier le contrat en vue de l’adapter ou d’y mettre fin lorsque les conditions suivantes sont réunies:

1° un changement de circonstances rend excessivement onéreuse l’exécution du contrat de sorte qu’on ne puisse raisonnablement l’exiger ;

2° ce changement était imprévisible lors de la conclusion du contrat ;

3° ce changement n’est pas imputable au débiteur ;

4° le débiteur n’a pas assumé ce risque ;

et 5° la loi ou le contrat n’exclut pas cette possibilité.

Les parties continuent à exécuter leurs obligations pendant la durée des renégociations. En cas de refus ou d’échec des renégociations dans un délai raisonnable, le juge peut, à la demande de l’une ou l’autre des parties, adapter le contrat afin de le mettre en conformité avec ce que les parties auraient raisonnablement convenu au moment de la conclusion du contrat si elles avaient tenu compte du changement de circonstances, ou mettre fin au contrat en tout en partie à une date qui ne peut être antérieure au changement de circonstances et selon des modalités fixées par le juge.

L’action est formée et instruite selon les formes du référé.

Déplacement de servitude

L’article 3.124 du livre 3 du Code civil traite de la « condition du fonds servant » de la servitude du fait de l’homme. Le titulaire du fonds servant ne peut rien faire qui diminue l’exercice de la servitude ou le rende moins commode. Il ne peut changer l’état des lieux, ni déplacer l’exercice de la servitude, […]

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L’article 3.124 du livre 3 du Code civil traite de la « condition du fonds servant » de la servitude du fait de l’homme.

Le titulaire du fonds servant ne peut rien faire qui diminue l’exercice de la servitude ou le rende moins commode.

Il ne peut changer l’état des lieux, ni déplacer l’exercice de la servitude, sauf s’il y a un intérêt objectif.

En cas de déplacement, il doit, à ses frais, offrir au propriétaire du fonds dominant un endroit sur le fonds servant aussi commode pour l’exercice de ses droits.

Cela traduit une conception dynamique de la propriété immobilière, que le droit doit permettre d’adapter et de faire évoluer en fonction des circonstances économiques, fonctionnelles et surtout urbanistiques.

Certes, ce dispositif existait déjà dans l’article 701 de l’ancien Code civil qui posait alors comme condition que l’assignation primitive soit devenue plus onéreuse au fonds servant.

Le texte actuel est plus large en visant l’intérêt objectif.

La notion d’intérêt objectif est laissée à l’appréciation du magistrat, au regard des circonstances concrètes de la cause.

Les travaux parlementaires nous enseignent encore ceci ceci (DOC 55 0173/001 p. 228) :

(…) en réponse au Conseil d’État, on observera qu’il s’agit de la généralisation des termes actuels visant une assignation plus onéreuse ou des réparations avantageuses qui sont également sujets à interprétation dès lors que l’on utilise des adjectifs comme “onéreux” ou “avantageux”.

Avec cette généralisation, les possibilités de déplacement sont plus favorables au fonds servant. C’est pourquoi on maintient, dans la première phrase, l’exigence de ne rien faire qui rende “moins commode” l’exercice de la servitude plutôt que de proposer comme dans l’Avant-Projet Capitant, “plus incommode”, afin de garder une solution équilibrée.

La faculté de proposer un autre endroit est maintenue et même élargie, on l’a dit. Il se peut en effet que le fonds servant reçoive une autre destination ou configuration. Et il faut permettre un tel changement en imposant au titulaire de la servitude, sous certaines conditions, d’accepter son déplacement.

Pour que le déplacement puisse être obtenu, il faut, dans le projet, que le fonds servant démontre y avoir un intérêt objectif.

La question est, dans les textes actuels (ancien Code civil), controversée de savoir où doit ou peut se trouver le nouvel endroit proposé ; selon les uns, le nouvel endroit proposé ne peut se situer que sur le fonds servant (voy. V. DEFRAITEUR, Les servitudes, Kluwer, Mechelen, 2015., p. 124 ; V. SAGAERT, Beginselen van belgisch privaatrecht, V, Goedenrecht, Mechelen, 2014, p. 490, n° 605) tandis que, selon d’autres, ledit endroit peut se trouver sur un autre fonds appartenant au propriétaire du fonds servant (voy. J.P. Tournai, 5 juin 2007, Rev. dr. rur., 2008, p. 52), voire sur le fonds d’un tiers ayant marqué accord (voy. J.P. Hal, 25  janvier  2006, R.G.D.C., 2009/6, p. 295, note A. SALVE; R.P.D.B., t. XII, v° Servitudes, p. 99, n° 521. Comp. J. HANSENNE, Les biens. Précis, Fac. de droit de Liège, 1996, t. II, p. 1213).

Le projet  (devenu le livre 3 actuel) préciseque l’endroit proposé doit se trouver sur le fonds servant, ce qui n’empêche évidemment, vu le caractère généralement supplétif de ce Livre, aucunement l’accord du propriétaire d’un autre fonds de prendre à sa charge la servitude.

Les frais du déplacement sont à charge du propriétaire du bien assujetti, en d’autres mots, du fonds servant. En réponse à l’observation du Conseil d’État, les rédacteurs n’ont pas prévu une procédure spécifique, d’une part, pour inciter l’accord amiable entre les parties et, d’autre part, parce qu’il n’y a pas de raisons pour prévoir une procédure spécifique.

Quant à l’information, elle sera assurée par la publicité hypothécaire.

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