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Carnoy & Braeckeveldt, avocats de l’immobilier à Bruxelles

Infraction d’urbanisme et nullité de la vente : comment réparer le contrat ?

La Cour de cassation a rendu un nouvel arrêt (Cassation, 10 mars 2023, C.22.0119.N, www.juportal.be), qui achève l’évolution de sa jurisprudence en en matière de nullité de contrat.

Les faits sont les suivants.

Un vendeur, semble-t-il professionnel, vend un immeuble grevé d’infractions urbanistiques.

Les infractions affectant le bien ne sont pas cachées. L’acte authentique prévoit que la vente a lieu « selon des plans à régulariser », donc en situation de fait.

Une demande de régularisation est rapidement introduite après l’acte et le permis de régularisation est délivré.

Cependant, le permis implique la mise en œuvre de conditions portant sur des travaux correctifs.

Ces travaux portent notamment sur la suppression d’un mur entre la chambre à coucher et la salle de bain, ainsi que sur l’agrandissement d’une fenêtre.

L’acquéreur, vraisemblablement contrarié de ces exigences, introduit une procédure en nullité de la vente intervenue (art. 1108 de l’ancien Code civil).

La Cour d’appel de Gand estima qu’eu égard aux circonstances, l’acquéreur ne pouvait prétendre que l’exécution de la vente serait contraire aux règles urbanistiques et aux plans approuvés, ou serait contraire à ce qui a été contractuellement convenu, car les écarts initiaux par rapports au permis peuvent précisément être régularisés par la mise en œuvre des travaux visés dans le permis de régularisation.

La Cour d’appel ne prononce donc pas la nullité.

L’acquéreur se pourvoit en cassation.

La Cour de cassation rappelle d’abord qu’un contrat est nul si son objet est illicite.

Mais, rappelle la Cour de cassation, l’illicéité du contrat peut être corrigée, sauf si la loi en dispose autrement, de manière à ce que l’ordre public soit respecté.

Ceci à condition que cette correction ne porte pas atteinte aux éléments essentiels du contrats.

Dans la langue de l’arrêt :

“Behoudens de wet zich hiertegen verzet, blijft de overeenkomst in stand indien de ongeoorloofdheid van de overeenkomst wordt of kan worden ongedaan gemaakt, derwijze dat het doel dat de wet beoogt, wordt of kan worden bereikt.

Het ongedaan maken van de ongeoorloofdheid van de overeenkomst is evenwel

slechts mogelijk indien daardoor geen afbreuk wordt gedaan aan de essentiële elementen van de overeenkomst”.

La Cour de cassation considère que, dès lors que des travaux correctifs sont imposés afin de permettre la régularisation urbanistique, la Cour d’appel aurait dû vérifier si ces travaux sont compatibles avec les éléments essentiels de la vente convenue entre parties.

Cet arrêt ponctue une remarquable évolution jurisprudentielle.

Il faut partir de deux principes de base : d’une part, le juge ne peut refaire les contrat, seule les parties peuvent faire et défaire le contrat. D’autre part, le juge doit respecter le contrat des parties et le faire vivre dans toute la mesure du possible, c’est-à-dire tant qu’il est licite.

Donc si le contrat est affecté d’une cause de nullité, le juge ne peut que prononcer la nullité.

La première étape de l’évolution concerne une de clause de non concurrence nulle car portant une restriction trop large à la liberté d’exercer une activité économique.

Dans un arrêt du 23 janvier 2015, la Cour de cassation pose que  «  … le juge peut, si une nullité partielle est possible, limiter la nullité, sauf interdiction de la loi, à la partie de la convention ou de la clause contraire à cette disposition à condition que la poursuite de l’existence de la convention ou de la clause partiellement annulée réponde à l’intention des parties. »

Cette décision faut saluée par la doctrine qui y a vu le pouvoir du juge de modérer le contrat, ou d’appliquer une nullité partielle (B. Bellen, “Niet-concurrentiebedingen in overnameovereenkomsten, splitsbaarheid en gerechtelijke matiging”, TRV, 2015, p. 459 ; C. Lebon, “Gerechtelijke matiging van niet-concurrentiebedingen”, NJW,2015, p. 913; F. Peeraer, “Naar een nietigheid op maat: de principiële erkenning van de (mogelijkheid tot) reductie door het Hof van Cassatie”, RW, 2015-2016, p. 1187-1193; St. Lagasse, “La réduction, variation de la nullité partielle, appliquée aux clauses de non-concurrence” J.T., 2015, p. 717 et svtes).

Monsieur Wéry évoque « une nouvelle application de la flexibilité des sanctions dans le contentieux contractuel : la nullité partielle d’une clause illicite », R.C.J.B., 2016, p. 387).

En réalité, c’est le contraire. Le juge n’annule pas partiellement le contrat, il ne fait que l’appliquer dans le mesure du possible, c’est à dire tant qu’il est licite. Cela traduit la réticence de principe de la Cour de cassation de défaire ce que les parties ont librement fait.

La deuxième étape concerne une vente donc l’objet est illicite, en raison d’une infraction urbanistique jugée régularisable.

Dans un arrêt du 7 novembre 2019, la Cour de cassation pose que, sauf si la loi s’y oppose, la convention est maintenue s’il est ou peut être remédié à son illicéité de manière à ce que l’objectif visé par la loi soit ou puisse être atteint (N.j.W., 2019, liv. 413, p. 895 ; F. Peeraer, « Ook bij koop op plan moet de nietigheid (of onwerkzaamheid) niet verder gaan dan nodig », T.B.O., 2020, p. 4).

Ici il n’est plus question pour le juge d’appliquer le contrat en tant qu’il est licite et de ne pas appliquer sa partie illicite ; il faut aller plus loin et poser que le juge doit réparer le contrat, le rendre licite, si c’est possible.

Le présent arrêt constitue la troisième et dernière évolution, qui nous dit quand et comment, le contrat nul doit être réparé : la réparation de l’illicéité du contrat n’est cependant possible que si, ce faisant, il n’est pas porté atteinte aux éléments essentiel du contrat : het ongedaan maken van de ongeoorloofdheid van de overeenkomst is evenwel slechts mogelijk indien daardoor geen afbreuk wordt gedaan aan de essentiële elementen van de overeenkomst.

C’est toujours le même souci, de ne pas empiéter sur les prérogative des parties : le juge peut réparer le contrat mais il ne peut remplacer les parties dans leur œuvre.

Cette évolution est désormais consacrée par les article 5.61 et 5.63 du nouveau Code civil.

L’article 5.61 dispose que la nullité relative peut être couverte. La nullité absolue ne le peut mais le contrat peut être « refait » dans le respect de la loi.

Les travaux parlementaires avancent à ce sujet que « la prise en compte du but et de la portée de la norme violée pourra le cas échéant permettre au juge d’écarter la sanction de la nullité s’il apparaît que la violation de la norme a été régularisée depuis la conclusion du contrat et que la norme violée ne commande plus dans ce cas l’application de la nullité » (Doc.parl., 2019, n° 55-174/001, p. 59)

L’article 5.63 consacre quant à lui la théorie de la nullité partielle, si le contrat et divisible.

Précisons que si la loi prévoit, à titre de sanction, que la clause est « réputée non écrite », elle ne peut évidemment pas être réparée, puisqu’elle n’est plus censée exister.

Pour revenir à l’arrêt commenté, on peut résumer le raisonnement de la Cour comme suit :

  1. Premièrement, si le contrat oblige à une prestation illicite, il est en principe nul.
  2. Deuxièmement, cette nullité peut cependant être réparée si un permis de régularisation est obtenu.
  3. Troisièmement, il faut alors vérifier si les conditions imposées par le permis de régularisation sont compatibles avec la volonté des parties, en particulier avec la configuration que l’acquéreur souhaitait que l’immeuble présente (et dont le vendeur avait connaissance).

Le caractère régularisable d’un infraction urbanistique est un sujet très délicat pour le juge. En effet, son rôle n’est pas de dire si une situation peut être régularisée par un permis d’urbanisme.

Ce faisant, il empièterait sur la compétence de l’administration, qui a un pouvoir discrétionnaire et qui apprécie le critère bien flou du « bon aménagement des lieux ».

Bref, le juge méconnaitrait la règle de la séparation des pouvoirs.

Terminons sur le premier attendu de la motivation de l’arrêt.

Il pose que le contrat dont l’objet est illicite est nul et l’objet sera illicite s’il oblige à une prestation qui est contraire à l’ordre public ou aux bonnes mœurs.

On pourrait croire que la Cour de cassation affirme sans l’écrire expressément que la vente d’un immeuble grevé d’une infraction d’urbanisme est nulle.

Ce n’est pas le cas, car ce n’est pas ce qui était demandé à la Cour de cassation, et on sait que l’art de la cassation consiste à ne pas répondre à une question qui n’est pas posée.

En réalité la prémisse était la nullité. Le pouvoir ne portait que sur la conséquence de celle-ci. Il est donc tentant mais erroné de déduire de l’arrêt que la vente d’un immeuble affecté d’une infraction d’urbanisme est nulle.

La photo : woning Van Waes : un superbe immeuble moderniste 41-47 Kortedagsteeg à Gent (ontwerp van Gaston Eysselinck, 1934). Allez voir https://beeldbank.onroerenderfgoed.be/images/399332 .

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