Le texte
Article 187 C. enreg. :
« Le changement dans la propriété ou l’usufruit d’un immeuble situé en Belgique, par suite d’une convention translative ou déclarative, est suffisamment établi, pour la réclamation du droit au nouveau propriétaire ou usufruitier, par des actes de disposition ou d’administration ou autres actes constatant ou impliquant, dans son chef, la propriété ou l’usufruit. »
C’est une présomption juris tantum. Elle peut être renversée. La présomption est en réalité assez naturelle : si une partie pose un acte comme propriétaire, elle est présumée avoir acquis la propriété.
Cette mutation apparente, disons plutôt présumée, est alors taxée au droit proportionnel ; c’est l’objectif de l’article 187.
Voyons quelques cas d’application.
Premier cas d’application : le vendeur revend
Le fait qu’un vendeur revende le même bien à une autre personne que l’acquéreur initial ne peut s’expliquer que par une rétrocession, même tacite, du bien au vendeur initial ce qui équivaut à une convention translative de propriété, soumise au droit d’enregistrement.
(Civ., Arlon, 22 janvier 1992, Rec. gén., n° 24.124. – dr n° E.E./88.578, Rép. R.J. n° E 187/04-02).
En d’autres termes, si A vend à C et que l’administration découvre que A a vendu à B, il y a apparence de mutation de revente de B à A.
Deuxième cas d’application : changement dans la vente
Par acte sous signature privée, signé par toutes les parties, des parcelles de terre sont cédée. Le receveur enregistre cet acte au droit de vente.
Les parties entament alors des négociations quant aux biens et quant au prix. Par acte authentique, les mêmes parcelles sont vendues au même prix, mais l’usufruit à une société agricole et la nue-propriété aux personnes physique. Le receveur soumet la revente de l’usufruit au droit de vente.
Comme l’acte sous signature privée ne traite pas d’usufruit et comme la société agricole n’est pas partie à l’acte, la revente de l’usufruit (rétrocession) est passible du droit de vente.
La théorie de la mutation apparente s’appuie sur le fait que le fisc est un tiers pour la perception des droits d’enregistrement, de sorte que les contre-lettres ne lui sont pas opposables.
(Civ., Liège, 25 avril 2006 – dr n° E.E./98.871, Rép. R.J. n° E 187/04-05).
Troisième cas d’application : le prête-nom
La convention de prête-nom est une simulation d’un caractère spécial.
L’acquéreur reste le prête-nom jusqu’au jour où un acte – civil ou judiciaire – fait passer la propriété de ce bien sur la tête du mandant ou jusqu’à ce que celui-ci accomplisse un acte impliquant sa propriété sur l’immeuble acquis.
C’est à ce moment que l’article 187 C. enreg. s’applique, et non au moment de l’acquisition par le prête-nom. Mais si ce dernier aliène le bien avant que la véritable situation soit révélée par un jugement par exemple, ce jugement ne donne pas ouverture à la perception du droit proportionnel de mutation.
(Déc. du 2 juillet 1957, n° E.E./74.134.) Numéro E 187/03-01).
L’exigibilité du droit de mutation ne peut être écartée par une convention secrète aux termes de laquelle le propriétaire ostensible a servi de prête-nom au bénéficiaire effectif. Les contre-lettres ne sont pas opposables au fisc.
(Civ., Bruxelles, 10 avril 1951, Rec. gén., n° 19.088, dr. n° E.E./66.127, Rép. R.J. n° E 187/02-01).
Quatrième cas d’application : l’indivision
A vend seul à D un immeuble indivis avec B et C. A est présumé avoir acquis les parts de B et C au droit du partage (1 %).
Sanctions et conséquences
La sanction est l’amende pour enregistrement tardif[1] qui ne pourra pas faire l’objet d’une réduction vu la fraude. Cette sanction est moins lourde que celle sanctionnant la simulation comme on le verra ci-après.
Le droit est recouvré contre le nouvel acquéreur seulement[2] à la date de l’acte qui sert de base à la présomption légale. C’est donc à ce moment qu’il faut se placer pour déterminer la valeur du bien.
Pour le calcul des droits éludés, on ne peut appliquer l’article 212 C. enreg.[3] En effet, dans la mesure où l’acte initial n’a pas été révélé, une condition fait défaut, à savoir deux actes authentiques[4].
Une institution proche : la simulation
Changer d’acquéreur entre le compromis et l’acte prête le flanc aux risques attachés à ce que l’on appelle généralement la « vente en triangle ».
La vente en triangle consiste à l’origine en une vente de A à B que l’on transforme en une vente de A à C. C’est une fraude fiscale qui revient à présenter à l’enregistrement l’acte de vente d’un immeuble entre un vendeur initial (A) et l’acquéreur final (C) en celant que le vendeur A a d’abord vendu à B qui a revendu C.
L’acte ostensible ne représente donc pas la réalité de l’opération et constitue une simulation en ce qu’il montre une mutation recouvrant en réalité deux mutations.
La fraude porte sur les droits qui auraient dû frapper la première vente entre A et B[5]. Dans la vente en triangle il y a donc deux taxations et non une, puisqu’il faut considérer qu’il y a eu un vendeur intermédiaire et revente par celui-ci.
C’est une fraude par simulation, visées par l’article 204 C. enreg. car la convention réellement intervenue est autre que celle qui a été constatée dans l’acte présenté à la formalité, de sorte qu’un droit inférieur a été perçu.
Cette disposition prévoit à titre de sanction qu’il est dû individuellement par chacune des parties contractantes une amende égale au droit éludé. Quant au droit éludé, il est dû indivisiblement par toutes les parties. Ainsi, B encourt également l’amende pour simulation bien qu’il ne soit pas intervenu dans l’acte A-C[6].
L’article 204 C. enreg. vise de manière générale les cas de simulation.
Notons que l’article 203 porte plus particulièrement sur la dissimulation du prix ou des charges.
La Cour constitutionnelle a jugé[7] que le mécanisme de solidarité de la débition de l’impôt éludé en cas de dissimulation du prix de vente prévu à l’article 203 du C. enreg. viole les articles 10, 11 et 172 de la Constitution « en ce qu’il permet que le droit éludé soit indivisiblement dû par les parties à un acte de vente qui n’ont pas participé à la dissimulation d’une partie du prix de vente ou qui n’en avaient pas connaissance ».
Dans ce cas de simulation, comme en cas de dissimulation de prix, la réduction de l’amende selon le barème n’est pas applicable, sauf les cas d’exception énumérés à l’article 219, alinéa 4, C. enreg. (aveu préventif ou décès[8]).
L’acte apparent de vente de A à C cache l’acte réel, la vente intermédiaire de B à C. C’est donc un cas de simulation, comme on l’a vu.
Mais il se peut que l’administration ne puisse prouver avec certitude que B avait bien revendu à C.
En ce cas, l’administration peut encore, selon les circonstances, faire usage de la présomption de l’article 187 C. enreg.[9]
A vend un immeuble à B. Par la suite, il vend le même immeuble à C. Si l’administration prend connaissance de ces évènements, elle constatera que le vendeur pose un acte de propriétaire alors qu’il a déjà vendu son immeuble.
Il est alors présumé avoir racheté l’immeuble à B avant de le revendre à C[10].
Comme exposé plus haut, cela correspond à la situation visée à l’article 187 C. enreg. qui traduit la théorie de la mutation apparente.
La photo : le Passage du Nord, l’une des premières galeries commerçantes de Bruxelles (architecte H. Rieck, 1882). De style éclectique, ce petit joyau architectural, hélas encore trop méconnu, relie la rue Neuve au boulevard Adolphe Max. Il est composé 20 magasins au rez et d’un futur coliving aux étages. À l’origine, le bâtiment abritait aussi un musée. L’actionnariat est familial et inchangé depuis 1892. Les façades côté rue, les façades intérieures, la verrière en coupole et le sol ont été classés par arrêté du 13 avril 1995. Passez-y, c’est dans le centre près du piétonnier, vous serez sous le charme.
[1] L’amende pour simulation (art. 204) n’est pas applicable (A. Culot, « Les incidents de la vente », in Le compromis de vente, Anthemis, Louvain-la-Neuve, 2006, p. 72).
[2] A. Culot, « Manuel des droits d’enregistrement », 4ième édition, Larcier, Bruxelles, 2010, p. 283.
[3] F. Werdefroy, « Droits d’enregistrement 2012-2013 », T. I, Kluwer, Waterloo, 213, p. 700.
[4] A. Culot, « Les incidents de la vente », op. cité, p. 67 ; A. Spoden, « La restitution des droits d’enregistrement en cas de revente », R.G.E.N., 1993, n° 24.196, n° 14.
[5] Appel, Mons, 2 septembre 2005, n° E.E./93.536, www.fisconet.be.
[6] F. Wederfroy, op. cité, p. 700.
[7] Arrêt n° 115/2016 du 22 septembre 2016, www.const-court.be.
[8] Voy. toutefois en ce cas F. Wederfroy, op. cité, p. 613
[9] A. Culot, « Les incidents de la vente », op. cité, p. 72
[10] Cours de l’administration, droits d’enregistrement, Trois Régions, éd. 2008, n° 523, p. 361.
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