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Gilles Carnoy logo Carnet de route en Droit Immobilier

Carnoy & Braeckeveldt, avocats de l’immobilier à Bruxelles

La problématique de l’ATN sur les travaux réalisés par la société usufruitière : l’impact du nouveau Code civil

La SRL est usufruitière et le dirigeant est nu-propriétaire ; c’est une figure classique dans un investissement immobilier.

Commençons par un exemple tiré de la jurisprudence.

La société fait exécuter et paie des travaux de placement d’une nouvelle chaudière et de nouveaux radiateurs dans l’immeuble.

La société porte ces travaux à l’actif du bilan.

Pour l’administration, cette prise en charge génère un avantage de toute nature imposable dans le chef du dirigeant.

En effet, suivant le principe d’attraction, tous les avantages qu’un dirigeant d’entreprise perçoit de la société doivent être considérés comme des rémunérations de dirigeant.

Ce sera le cas si la société usufruitière prend en charge des obligations qui, en réalité, incombent au nu-propriétaire dirigeant.

On sait que, dans l’ancien régime, le nu-propriétaire supporte les grosses réparations au sens de l’article 606 de l’ancien Code civil.

La question est de savoir si l’installation d’une chaudière neuve, et des radiateurs, constitue des grosses réparations au sens de l’article 606, à charge du nu-propriétaire selon l’article 605, alinéa deux.

Ou s’agit-il de travaux d’amélioration visés par l’article 599, dont les coûts restent à charge de l’usufruitier.

Les notions de grosses réparations et d’amélioration sont peu précises car elles ont fait l’objet d’une évolution dans le temps et parce qu’elles sont influencées par des considérations d’ordre technique.

La Cour d’appel d’Anvers n’a pas hésité (27 octobre 2020, rôle n° 2019/AR/743, www.taxwin.be) :

L’installation d’un chauffage central avec ses radiateurs est une grosse réparation vu son caractère exceptionnel et son importance, et parce que ses coûts sont prélevés sur le capital et non sur les fruits annuels que l’usufruit rapporte.

La taxation du dirigeant est donc confirmée.

Le livre 3 a considérablement modifié la matière de l’usufruit.

Comme on vient de le voir, c’est important en matière fiscale car l’ATN taxable résulte de ce que la société prend en charge ce que loi impose au dirigeant.

A quoi les comptables et fiscalistes doivent aujourd’hui prendre garde dans cette matière ?

Notons tout d’abord que l’usufruitier peut réaliser des constructions sur le bien grevé et y apporter des modifications.

L’article 3.143, al. 3, dispose :

« Dans les limites énoncées à l’alinéa 1er [à savoir le respect de la destination du bien et son usage prudent et raisonnable], l’usufruitier peut également apporter des modifications et réaliser des ouvrages et des plantations quant au bien grevé. Si les modifications, ouvrages et plantations subsistent à la fin de son droit, leur sort est réglé par l’article 3.160 ».

Il en est propriétaire par voie de superficie-conséquence, comme prévu à l’article 3.182 du Code.

Quant à la répartition des grosses réparations, étant « celles qui portent sur la structure du bien ou de ses composantes inhérentes ou dont le coût excède manifestement les fruits du biens », l’article 3.154 du Code civil prévoit que :

  • L’usufruitier supporte seul les grosses réparations pour les ouvrages qu’il a réalisés (et dont il est donc propriétaire) ;
  • Alors que pour les ouvrages existants au moment de la constitution du droit, il y a une participation du nu-propriétaire et de l’usufruitier « en fonction de la valeur du droit d’usufruit par rapport à la valeur de la pleine propriété, calculées conformément à l’article 745sexies, § 3, de l’ancien Code civil ».

Notons que la référence à l’article 745sexies, § 3, de l’ancien Code civil n’est pas sans poser un problème lorsque l’usufruitier est une société.

En effet, la table de conversion visée à l’article 745sexies n’est établie que pour des hommes et des femmes en faisant référence à leur âge au jour de la requête en conversion.

Il est donc heureux que le texte retienne également le principe selon lequel la contribution aux travaux de l’usufruitier est déterminée selon la « valeur du droit d’usufruit par rapport à la valeur de la pleine propriété ».

Une formule de valorisation, telle que celle préconisée par le SDA, pourrait donc être appliquée.

Cela étant précisé, comment les choses se présentaient-elles au moment de l’entrée en vigueur du nouveau livre 3 ?

Afin d’éviter tout abus fiscal (art. 344 CIR), et en particulier l’imposition d’un avantage de toute nature (ATN ; art. 32 CIR) dans le chef du dirigeant ou d’un rejet de déduction (art. 49 CIR) ou la taxation d’un avantage anormal ou bénévole (AAB ; art. 26 CIR) dans le chef de la société, le SDA a émis – sous l’ancien Code civil – un canevas que doivent respecter la société et son dirigeant.

Le SDA indique que pour éviter tout ATN (ou AAB) et éviter un rejet de déduction des travaux, il faut que :

  • Un état des lieux en début d’usufruit soit effectué en application de l’article 600 du Code civil,
  • Les relations entre l’usufruitier et le nu-propriétaire soient régies par les dispositions de droit commun. Autrement dit, il ne peut être apporté de dérogations conventionnelles aux travaux qui sont du ressort du nu-propriétaire et de l’usufruitier selon le Code civil ; la jurisprudence décrite plus haut est l’illustration de ce principe,
  • La société se comporte de manière indépendante et n’entreprenne que les travaux qui représentent un intérêt économique dans son chef et que toute autre société (tierce par rapport au nu-propriétaire) aurait entrepris dans les mêmes circonstances,
  • Au cours d’une des 5 dernières années avant l’expiration de l’usufruit, les travaux normalement à charge de l’usufruitier seront supportés proportionnellement par l’usufruitier et le nu-propriétaire en fonction de la valeur respective de l’usufruit/nue-propriété par rapport à la valeur de la pleine propriété au moment où les travaux en question doivent être réalisés. A notre avis, cette condition est moins pertinente : il est tout à fait possible que l’usufruit doive réellement faire face à certains travaux en fin d’usufruit et, dans ces conditions, il est normal qu’il les supporte en totalité. Tout est évidemment une question de fait.

Au vu des dispositions qui régissent à présent la matière dans le nouveau Code civil (le livre 3), ces conditions sont-elles toujours pertinentes ?

  • L’état des lieux à l’ouverture de l’usufruit ne pose pas de difficultés et devrait donc toujours être réalisé,
  • Le fait que la société doive se comporter de manière indépendante et n’entreprendre que les travaux qui présente pour elle un intérêt économique demeure pertinent,
  • Le fait que, durant les 5 dernières années, le nu-propriétaire prenne en charge une partie de la valeur des travaux qui sont normalement à charge de la société usufruitière demeurera probablement inscrit dans les conditions mises en avant par le SDA, mais on peut s’attendre à un allongement de ce délai dès lors que l’article 3.154 du Code civil prévoit dorénavant une intervention de l’usufruitier sur les gros travaux, proportionnellement à la valeur de son droit.

L’unique critère qui pose question est celui de l’application du droit commun quant à la prise en charge des gros travaux.

Alors que l’ancien Code civil les mettait entièrement à charge du nu-propriétaire (dirigeant), le nouveau Code civil établit une prise en charge proportionnelle par l’usufruitier (société), comme on l’a vu plus haut.

Si l’on retient ce critère, le dirigeant se trouve aujourd’hui avantagé.

Il serait excessif de la part de l’administration fiscale, notamment le SDA, de considérer que – par dérogation au droit commun – le dirigeant doit prendre en charge l’ensemble des gros travaux pour éviter tout ATN ou rejet de déduction.

Pour trouver une solution, il faut donc s’en référer au principe de base souhaité par l’administration fiscale et le SDA : quelles conditions accepteraient une société indépendante ?

Fort du texte légal sur les grosses réparations, le nu-propriétaire pourrait aisément négocier une prise en charge proportionnelle des travaux par une société usufruitière et l’opposer à l’administration.

Mais il est probable qu’une société solliciterait, soit une clé de réparation un peu plus avantageuse, soit négocierait un usufruit de plus longue durée destiné à compenser l’investissement réalisé en gros travaux.

A cet égard, un usufruit en faveur d’une personne morale peut dorénavant avoir une durée jusqu’à 99 ans.

Qu’en est-il alors des ouvrages (nouvelles constructions) réalisées par la société usufruitière ?

La société ne devrait réaliser que des ouvrages autorisés par le dirigeant, et cela devrait idéalement être précisé dans l’acte constitutif du droit réel.

Cela permettra à la société d’obtenir en fin de droit une indemnisation fondée sur l’enrichissement injustifié.

Le principe d’indépendance de la société qui agit dans son intérêt économique est ainsi respecté.

Une autre solution admissible consisterait à réaliser des ouvrages en début de droit, qu’ils soient autorisés ou non, qui seraient non indemnisables en fin de droit mais en contrepartie la société obtiendrait le bénéfice d’un droit d’usufruit particulièrement long.

Cela lui permettrait de rentabiliser son investissement et, partant, de toujours agir comme le ferait une société indépendante soucieuse de ses intérêts économiques.

En revanche, il apparaît probable que, surtout dans les dernières années du droit, l’administration fiscale entende que – contrairement au prescrit légal – les gros travaux réalisés sur les constructions dont la société usufruitière est propriétaire par voie de superficie-conséquence soient proportionnellement pris en charge par le dirigeant nu-propriétaire.

Les praticiens du conseil fiscal devront adapter les montages en respectant ces principes.

Et ils devront aussi suivre la jurisprudence du SDA car, avec le temps, l’administration fiscale va, elle aussi, s’adapter.

Cet article est écrit par Bruno Braeckeveldt et Gilles Carnoy

La photo : la Résidence Belle-Vue, avenue Général de Gaule 50 à Ixelles, de style moderniste (Stanislas Jasinski et Jean-Florian Collin, 1935-1938). En fait, c’est surtout l’œuvre de Jasinski, Collin (père de Etrimo) était le promoteur. Etrimo et Jasinski ont édifié différents immeubles emblématiques et modernistes, de grande qualité, dans la deuxième moitié des années 1930 à proximité des Jardins du Roi, par exemple la Résidence Ernestine, la Résidence Belle-Vue, l’immeuble et Tonneau. Par la suite, Etrimo s’est fourvoyée dans le style fonctionnaliste des barrières d’appartements pour finalement trébucher en 1970 et devenir le plus fameux concordat judiciaire de l’histoire du droit de l’insolvabilité.

Résidence Belle-Vue à Ixelles, le long des étangs

Commentaires

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Un commentaire Poster un commentaire
  1. Laurent #

    La valeur de l ‘usufruit est basée sur l’actualisation des loyers nets ( soit les loyers bruts moins les frais ).Classiquement ceux-ci représentent un % du loyer Puisque que dorénavant l’usufruitier doit intervenir dans les grosses réparations , il me semble que ce % doit logiquement augmenter et donc le loyer net diminuer .Dés lors ,suite à l’instauration du nouveau régime, lors de l’acquisition en démembrement la valorisation de l’usufruit (société,) toutes choses étant égales devrait diminuer .et donc celle de la-nupropriété ( dirigeant) augmenter proportionnellement.

    août 12, 2022

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