Une intervention profonde dans un immeuble suscite en général de nombreuses questions :
- S’agit-il d’une rénovation transformation à 6 % ?
- S’agit-il d’une démolition reconstruction à 6 % ?
- S’agit-il de travaux trop lourds pour une transformation sans constituer pour autant une démolition ?
- L’immeuble est-il (re)devenu neuf par l’effet de travaux structurels ?
Quand une transformation lourde devient-elle une reconstruction et un bâtiment neuf ?
La rénovation et la transformation sont des travaux immobiliers au taux réduit de 6 % (rubrique XXXI/XXXVIII du tableau A de l’annexe à l’arrêté royal n° 20 du 20 juillet 1970).
Il faut que de tels travaux reposent de manière significative sur les anciens murs porteurs, en particulier les murs extérieurs, et, plus généralement, sur les éléments essentiels de la structure du bâtiment à rénover (circulaire n° 6 du 22 août 1986).
C’est ce que confirme une décision anticipée n° 2021.0592 du 18 janvier 2022.
Quid si le projet est trop lourd pour être vu comme une transformation-rénovation au taux réduit de 6% de TVA (rubrique XXXI/XXXVIII de l’AR/TVA n° 20) ?
Se pose alors la question de la possibilité de bénéficier du taux de 6 % en matière de démolition-reconstruction, ceci en dépit du fait que les opérations destructives ne concerneront pas l’entièreté de l’immeuble.
En l’état actuel de la législation, il existe deux possibilités de bénéficier du taux réduit de 6 % de TVA en matière de démolition-reconstruction.
Toutes deux ne concernent que les travaux qui créent du logement.
La première, temporaire jusqu’au 31 décembre 2023 et concernant tout le territoire belge, visé à l’article 1er quater de l’AR/TVA n° 20 qui permet au maître d’ouvrage de démolir-reconstruire au taux de 6 % :
Soit pour habitation propre et unique à certaines conditions et sous certaines modalités, dont le fait que la superficie totale habitable ne doit pas excéder 200 m².
Soit pour location à une AIS à certaines conditions et sous certaines modalités mais sans la condition des 200 m².
La seconde est illimitée dans le temps mais limité à 32 Villes et Communes (rubrique XXXVII de l’AR/TVA), ici aussi à certaines conditions et sous certaines modalités.
La transformation même lourde peut bénéficier du taux réduit ; la démolition-reconstruction aussi.
Entre les deux il existe-t-il une zone qui ne bénéficiera pas du taux réduit.
C’est particulièrement sensible pour le promoteur qui ne récupère pas la TVA.
Ce sera le cas de celui, par exemple, qui garde le bien en portefeuille pour le louer ou celui qui revend en régime de droits d’enregistrement.
Le principal débat consiste à examiner si les travaux envisagés relèvent bien d’une démolition-reconstruction.
Deux éléments doivent principalement retenir l’attention à ce propos.
D’une part, il importe que le bâtiment démoli réponde à la notion d’immeuble par nature et qu’il ait une importance (volume) et une consistance (matériaux « en durs ») significatives .
D’autre part, la démolition doit être d’envergure et toucher les éléments porteurs.
C’est ce point qui est sensible.
L’administration avait déjà admis en 2007 qu’une reconstruction radicale où certains murs demeurent (notamment pour des raisons urbanistiques) est à assimiler à une démolition et une reconstruction .
Certaines décisions anticipées ou prises de position de l’administration ont ensuite semé le doute sur la nécessité de complétement raser le bâtiment existant.
Cependant, à l’occasion de l’adoption du taux réduit temporaire, le législateur a indiqué dans les travaux préparatoires :
« En principe, la démolition du bâtiment doit être complète en ce sens qu’elle doit concerner un bâtiment entier (maison, hangar, immeuble de bureaux, …). D’autre part, une transformation importante d’un vieux bâtiment dans laquelle les travaux suite à la démolition ne reposent pas de manière significative sur les anciens murs porteurs et, plus généralement, sur les éléments essentiels de la structure du vieux bâtiment, de sorte que les travaux ne peuvent entrer en considération pour l’application du taux réduit de TVA pour rénovation (rubriques XXXI et XXXVII du tableau A de l’annexe à l’arrêté royal n° 20), est bien assimilée à la démolition et reconstruction d’un bâtiment pour l’application de cette disposition » .
Dans le cadre de l’application du taux réduit, le législateur entendait donc offrir une tolérance : si les travaux sont à ce point important qu’il ne s’agit pas d’une transformation-rénovation, il y a alors assimilation à une opération de démolition-reconstruction.
Dans le Commentaire TVA, il est admis que si les travaux sont d’une importance telle qu’il ne s’agit plus d’une rénovation, il est possible de considérer qu’il s’agit d’une démolition-reconstruction bénéficiant également d’un taux réduit de 6 % (rubrique XXXVII du tableau A de l’AR/TVA n° 20).
La circulaire 2021/C/18 du 25 février 2021 le confirme expressément et indique même que cette tolérance s’appliquait déjà au régime ordinaire des « 32 zones urbaines » :
« Pour des raisons pratiques, l’administration prévoit une tolérance spécifique. Dans le cas d’une transformation importante d’un ancien bâtiment où, en raison de la démolition, les travaux ne reposent pas de manière significative sur les anciens murs porteurs et, plus généralement, sur les éléments essentiels de la structure de l’ancien bâtiment, de telle sorte que les travaux ne peuvent plus bénéficier de l’application du taux réduit de la TVA pour rénovation (rubriques XXXI et XXXVIII, du tableau A, de l’annexe à l’arrêté royal n° 20 fixant les taux de TVA), ces travaux seront assimilés à la démolition et reconstruction d’un bâtiment pour l’application du présent régime.
En ce qui concerne cette tolérance administrative, qui s’appliquait déjà du reste au régime existant en matière de démolition et reconstruction dans les 32 zones urbaines, il convient de noter que ce régime est strictement limité aux cas où le taux réduit de la TVA relatif aux rénovations ne s’applique pas en raison de la nature et de l’ampleur des travaux de démolition ».
La circulaire 2021/C/104 du 7 décembre 2021 l’affirme encore.
Du reste, la rédaction de l’article 1er quater de l’AR/TVA n°20 et de la rubrique XXXVII sont identiques sur la stricte notion de « démolition-reconstruction ».
Ces deux dispositions indiquent seulement qu’elles s’appliquent aux travaux immobiliers « ayant pour objet la démolition d’un bâtiment et la reconstruction conjointe d’un bâtiment d’habitation ».
Cela implique qu’il n’y a aucune raison textuelle, et donc légale, qui permettrait de limiter la tolérance administrative en question au taux réduit temporaire.
Les opérations de démolition-reconstruction réalisées dans le cadre du régime « 32 villes et communes », doivent également pouvoir bénéficier de la tolérance.
En conclusion, pour autant que la structure portante existante soit suffisamment atteinte mais sans qu’elle ne doive être intégralement détruite, des travaux de transformations doivent pouvoir bénéficier du taux de 6 % en matière de démolition-reconstruction.
Il est important de définir une stratégie de preuve de tout cela :
Reportage filmé ou photographique de l’évolution du chantier, avec prises de vue à chaque réunion de chantier, à partir de plusieurs points de vue identiques.
– Plan d’ensemble avant / après.
– Plan des structures avant / après.
– Devis et cahier des charges du volet démolition.
– Attestation de l’architecte et éventuellement du démolisseur.
Rappelons qu’il convient aussi de remplir certaines conditions de formes (dont je vous ai épargné la litanie, ne les négligez pas).
Reste encore le problème de l’urbanisme concernant les démolitions.
Le principe de l’économie circulaire s’est largement imposé auprès des administrations. Selon ce principe, il faut régénérer et non détruire.
Par ailleurs les démolitions provoquent beaucoup de déchet et de reliquat difficiles à réinsérer.
Bref, les autorités délivrantes rechignent, et c’est peu dire, à autoriser des démolitions radicales. C’est un frein à une architecture novatrice ou de rupture.
En TVA, lorsque l’on conçoit un projet assez radical et que l’on n’est pas sûr de rester en régime de transformation, il faut au moins s’assurer d’atteindre le régime de la démolition.
Il faut donc concevoir un projet et un programme immobiliers qui démolit assez pour la TVA mais pas trop pour l’urbanisme.
En d’autres termes, le nouveau bâtiment ne reposera pas de manière significative sur les anciens murs porteurs et, plus généralement, sur les éléments essentiels de la structure de l’ancien bâtiment, tout en laissant subsister ces éléments anciens.
Or la reconversion de bâtiments anciens amène souvent le promoteur à des transformations radicales car les gabarits et les fonctions dans l’habitat ont beaucoup évolué.
Toujours sur le plan urbanistique, il est important de proposer dans la notice explicative de la demande de permis, un engagement documenté de recyclage des matériaux et déchets inertes de démolition (tri et recyclage, démolition non génératrice de poussière).
Il est bon de s’inspirer, par exemple, du plan de prévention et de gestion des déchets en Région de Bruxelles-Capitale du 11 mars 2010 ou du Guide de gestion des déchets de construction et de démolitions de Bruxelles Environnement de décembre 2009.
Enfin les matériaux détachés et non détruits peuvent recevoir une deuxième vie auprès de collecteur revendeur comme Rotor, par exemple.
Bruno Braeckeveldt et Gilles Carnoy
La photo : tout le monde aura reconnu la belle ville de Leuven ; passez voir le Schouwburg sur la Bondgenotenlaan (photo ci-dessous), il est magnifique (sa programmation aussi).
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