Skip to content

Gilles Carnoy logo Carnet de route en Droit Immobilier

Carnoy & Braeckeveldt, avocats de l’immobilier à Bruxelles

La prorogation de la durée de l’usufruit et au regard des droits proportionnels d’enregistrement

Le 17 février 2003, un immeuble à Knokke fait l’objet d’un achat scindé.

Le dirigeant achète la nue propriété et la société achète un usufruit de quinze ans

Avant l’échéance, le 7 février 2018, le nu propriétaire et la société usufruitière conviennent de proroger  la durée pour la porter à 30 ans.

À cette occasion, le nu propriétaire perçoit 266.500 €.       

L’administration flamande lève un droit d’enregistrement de 10 % (taux de l’époque), soit 26.650 €.

L’imposition est contestée.

Le tribunal civil de Flandre orientale, division Gand, rejette la réclamation.

La Cour d’appel de Gand, en revanche, accueille la demande.

La Région flamande forme alors un pourvoi en cassation (Cass., 24 janvier 2025, rôle n° F.22.0125.N, www.juportal.be).

La prorogation d’un acte taxable donne-t-elle lieu à la perception des droits proportionnels ? 

Dans le passé, l’administration traitait la prorogation tardive d’une société comme une constitution (Rép. R.J., E 120/06-01, E 117 § 1/06-01 ; Cours adm. C. enreg., n° 432, a).

Mais cela supposait que la prorogation intervienne après la cessation de la personne morale.

Une question parlementaire n° 2138 de Monsieur Luk Van Biesen du 14 mars 2018 offre une vision différente.

La question porte sur la prorogation d’un usufruit dans les Régions de Bruxelles-Capitale et wallonne).

La réponse du ministre distingue deux hypothèses, qu’elle traite pareillement :

Après un achat scindé, comme dans l’arrêt qui nous occupe, la prorogation n’est pas concédée par la personne qui a constitué l’usufruit initial.

Il ne s’agit donc pas d’une simple prolongation de la convention existante, mais bien d’une nouvelle convention.

La Région de Bruxelles-Capitale et la Région wallonne appliquent alors le droit d’enregistrement de vente sur cette opération.

La même solution est préconisée lorsque la prorogation est le fait de la personne qui a constitué l’usufruit initial. Il s’agit là d’une véritable prolongation de la convention.

La réponse donnée à la question parlementaire ne distingue pas selon la prorogation intervient avant ou après l’expiration de l’usufruit initial.

Mais la question du Député ne faisait pas de doute ; elle portait sur une situation de prorogation avant expiration et la réponse s’entend d’une prorogation avant échéance.

Pour l’administration, la base légale est l’article 44, la convention de prorogation faisant titre d’un acte translatif d’usufruit.

L’article 2.9.1.0.1 du VCF est rédigé différemment mais son objet est identique.

L’administration rappelle que l’article 44 a une portée très large. Certes, mais quelle est la définition de son fait générateur ?

Est translatif, tout acte – peu importe sa dénomination – qui forme titre d’une convention ayant pour effet de faire passer juridiquement un droit réel, d’une tête sur une autre (Genin, « Commentaire », 1950, n° 470 ; Werdefroy, I, n° 141; M. Donnay, « Obligation de l’enregistrement », R.G.E.N., 1965, n° 20884), §§ 19 et 21; Rép. not., n° 249).

Une prorogation ne fait pas passer le droit d’une tête à une autre, mais le maintien, plus longtemps, sur la même tête.

Il n’est pas question ici d’interpréter mais de circonscrire l’objet de la disposition.

Et, bien évidemment, une prorogation n’est juridiquement possible qu’aussi longtemps que subsiste le droit.

Après, c’est nécessairement un nouveau droit, on ne peut proroger ce qui n’est plus.

Ceci posé, que va faire valoir l’administration devant la Cour de cassation ? (ce qui suit est basé sur notre traduction)

Le premier moyen du pourvoi porte sur la notion d’acte translatif de droit réel d’usufruit au sens de l’article 2.9.1.0.1 du VCF.

Les juges d’appel gantois avaient décidé que, pour constituer un acte translatif d’usufruit, il faut que le constituant dispose du droit au moment de le transférer.

Or le nu propriétaire qui consent à la prolongation de l’usufruit en cours d’usufruit n’en dispose pas, du moins pas encore si la prolongation intervient avant l’expiration du droit d’usufruit.

Donc la prolongation avant échéance ne pouvait réaliser un acte translatif. Elle constitue une confirmation ou le maintien du droit existant.

C’est dans la droite ligne de ce qui est exposé plus haut.

Le pourvoi avançait qu’au contraire, pour que la nouvelle durée d’usufruit soit un acte translatif, il suffit qu’au moment de la prolongation, le constituant soit propriétaire et dispose, en qualité de propriétaire, avant l’expiration, du futur usufruit né de l’achat scindé.

Que répond la Cour de cassation ?

L’attendu décisif de l’arrêt répondant au pourvoi retient que « la convention de prolongation de l’usufruit modifie seulement la durée  de l’usufruit d’origine. »

La Cour en déduit que « cette convention n’a donc pas pour effet de créer un usufruit complémentaire. »

Dans le texte :

Een overeenkomst tot verlenging van vruchtgebruik wijzigt enkel de duurtijd van het oorspronkelijke vruchtgebruik en heeft aldus geen bijkomende overdracht van een zakelijk recht tot gevolg.”

Autrement dit, aménager la durée d’un usufruit existant n’est pas créer un nouvel usufruit.

D’ailleurs, le législateur a prévu une disposition spécifique pour la prorogation (si on peut dire) par réversion ou accroissement, l’article 50 du Code.

Le raisonnement de base en la matière repose sur le fait qu’il n’y a pas transfert parce qu’il n’y a pas un nouvel usufruit ; il faut donc qu’il s’agisse du même droit.

Aussi, toute adaptation au moment de la prolongation met le raisonnement en danger.

On note que dans cette affaire, le prix fut modifié car la prolongation fut indemnisée ; c’est un élément non négligeable qui fut modifié.

Cela n’entre pas en compte dans le raisonnement de la Cour de cassation parce que le pourvoi ne portait pas sur cet élément.

Or la Cour de cassation veille soigneusement à ne pas répondre à une question qu’on ne lui pose pas.

Le pourvoi porte sur la modification de la durée, pas sur la transformation du droit dans sa durée et sa contrepartie.

Le pourvoi aurait-il alors pu être différent ?

Non, pense Monsieur Cardoen dans le Fiscologue (n° 1871, 28 février 2025, p. 4).

Pour cet auteur, la cause de l’indemnité ne concerne pas le prix de la constitution ou du transfert d’un nouveau droit d’usufruit car il n’y a pas de nouveau droit d’usufruit en cas de prolongation.

Il s’agirait seulement d’une compensation pour le report de la réintégration de la pleine propriété à la suite de la prolongation de l’usufruit actuel.

On notera que cette qualification fera tomber l’indemnité dans la rémunération du dirigeant en cas d’achat scindé, en application du principe d’attraction de l’article 32 CIR.

Retenons également que le pourvoi n’évoque pas non plus la question de la prorogation consentie par le nu propriétaire qui n’était pas le constituant originaire.

Dans la question parlementaire de 2018, l’administration apporte la justification suivante :

« Attendu que A n’est ni la personne qui a constitué l’usufruit initial, ni son ayant droit universel, il ne s’agit pas d’une simple prolongation de la convention existante, mais bien d’une nouvelle convention. »

Mais à mon avis cette circonstance n’est pas déterminante car, dès le début il n’y a qu’un usufruit avec le même nu propriétaire.

Que conclure de l’arrêt ?

Il faut en déduire  que la convention de prolongation de l’usufruit :

  • aux mêmes conditions,
  • par le constituant ou le nu propriétaire,
  • avant l’échéance,

ne constitue pas un acte translatif taxable au droit proportionnel des articles 44 et 2.9.1.0.1 précités, même si la prorogation est indemnisée.

Si les conditions changent, même sans novation civile, l’administration pourrait voir un nouvel usufruit, transféré cette fois et taxer l’acte.

Ce sera le cas si l’acte prévoit une option pour l’application du livre 3 du Code civil et au passage, modifie son régime indemnitaire à l’échéance du droit d’usage.

Terminons en signalant qu’une pratique qui combinerait un petit usufruit  taxable avec une prolongation non taxable n’est pas sans risque au regard des dispositions anti-abus. 

La photo : un immeuble de style Art-Déco à Ixelles, avenue Armand Huysmans 34 (J. Ramaekers, 1938). Les briquettes jaunes et les fenêtres bandeaux sont typiques de l’architecture bruxelloise des années 30. La porte en arcs en plein cintre sous auvent est particulièrement belle.

Commentaires

facebook comments:

Pas encore de commentaire

Laisser un commentaire

Ce site utilise Akismet pour réduire les indésirables. En savoir plus sur comment les données de vos commentaires sont utilisées.

close