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Carnoy & Braeckeveldt, avocats de l’immobilier à Bruxelles

Force majeure et abattement

En Région de Bruxelles-Capitale, la réduction de la base imposable en droit d’enregistrement s’élève actuellement à 175.000 € pour la primo acquisition d’une habitation.

L’acheteur doit établir sa résidence dans l’immeuble dans les deux ans (art. 46bis, alinéa 5, 2°, b) et y maintenir sa résidence durant cinq ans (art. 46bis, alinéa 5, 2°, c).

Si ces obligations ne sont pas remplies, l’acheteur sera tenu au paiement des droits complémentaires et, pour la condition d’établissement, d’une amende égale à ces droits complémentaires (amende souvent réduite).

Les alinéas suivants posent un problème.

En effet, ce n’est que concernant l’obligation de maintien de la résidence cependant cinq ans que la sanction s’applique sauf force majeure.

Cette restriction ne se trouve pas dans le texte concernant le non respect de l’obligation d’établir le résidence dans les deux ans.

Or la force majeure est une cause générale d’exonération en matière de respect des délais, même en matière fiscale.

Pourquoi traiter différemment les deux obligations ?

La Cour constitutionnelle vient de juger cette différence discriminatoire (arrêt n° 118/2022 du 29 septembre 2022).

Plus précisément, la Cour pose que l’article 46bis viole le principe d’égalité « en ce que les acquéreurs qui, pour cause de force majeure, ne peuvent établir leur résidence principale dans l’immeuble acquis qu’après l’expiration du délai de deux ans suivant l’enregistrement ne sont pas exonérés de l’obligation de payer les droits d’enregistrement complémentaires. »

Cela s’impose à l’administration en raison du principe de légalité et de bonne administration.

Autrement dit, dorénavant, l’acheteur qui, pour cause de force majeure, aura dépassé le délai d’établissement de deux ans, sera exonéré des droits complémentaires et l’amende.

L’arrêt concerne un acheteur qui avait bien établi sa résidence, mais en dehors du délai.  Le cas de l’acheteur qui n’a pas établi sa résidence n’est donc pas visé.  

On aura donc un régime similaire appliquant la force majeure pour l’obligation d’établissement et de maintien de la résidence dans le bien acquis à l’aide de l’abattement.

Notons que la force majeure n’est pas applicable pour la première condition (déclaration de primo acquisition).

C’est normal ; on voit mal comment un acheteur pourrait par force majeure déclarer à tort qu’il ne possède pas la totalité en pleine propriété d’un autre immeuble destiné en tout ou en partie à l’habitation …

L’arrêt de la Cour constitutionnelle est bienvenu mais ce n’était pas gagné car il y avait une certaine logique à exclure la force majeure dans l’obligation d’établissement.

En effet, le texte excluait la force majeur pour la condition d’établissement de la résidence parce qu’en ne se domiciliant pas dans l’immeuble qu’il a acquis, quelles qu’en soient les raisons, le redevable se trouve dans la même situation qu’une personne ayant acquis un immeuble à un usage autre que celui de sa résidence principale.

Un acheteur avançait que le studio au 6ième étage lui donnait des vertiges et qu’il souffrait d’acrophobie, raison pour laquelle il renonça à déménager. Le receveur a pris en compte cette circonstance pour revenir sur l’amende, pas pour reconnaître une force majeur (Civ., Brux., Fr., 1ier mars 2017, Rép. n° E 46bis-BR/06-01).

Ce sera également le cas lorsque l’acquéreur n’a pas établi sa résidence principale dans l’immeuble en raison d’une mésentente conjugale née rapidement et débouchant sur un divorce : le divorce est rarement un cas de force majeure.

Et pourtant, dans un arrêt du 19 novembre 2019 (rôle n° 2018/AR/1687, www.taxwin.be), la Cour d’appel de Gand a décidé, dans un registre proche (l’obligation d’occupation de l’article 2.9.4.2.1 du Code flamand de la fiscalité pour le taux réduit de droits d’enregistrement applicable aux maisons modestes), « que la rupture de la relation entre l’intimée et son partenaire de l’époque peut être considérée comme un événement imprévu et imprévisible qui a eu comme conséquence que l’intimée n’a jamais pu être inscrite à l’adresse précitée dans le registre de la population. L’intimée prouve l’existence d’un cas de force majeure, motif pour lequel la réduction du taux des droits d’enregistrement est maintenue ».

Une force majeure non retenue peut toutefois exclure l’amende selon les circonstances, mais pas les droits complémentaire (Civ., Brux., Fr., 21 janvier 2019, Rép. n° E 46bis-BR/06-03).

Le déménagement professionnel n’est constitutif de force majeure que s’il est imprévisible et irrésistible, soit tout aussi rarement que le divorce.

Selon le tribunal de première instance de Bruxelles, la simple perte d’une fonction ne rend pas impossible l’habitation de l’appartement si l’acquéreur ne prouve pas qu’il lui était impossible de trouver un emploi en Région Bruxelloise (Civ., Brux., Nl., 6 mars 2017, Rép. n° E 46bis-BR/06-02).

La crise sanitaire qui a débuté en 2020 a engendré un contentieux particulier lié au télétravail, certains logements ne convenant pas pour cette activité, surtout pour deux télétravailleurs avec enfants, ce qui a poussé des ménages à envisager un déménagement.

Mais ce genre de situation n’a pas encore généré une jurisprudence.

Enfin, la perte d’autonomie d’une personne mise sous tutelle n’a pas été retenue comme un cas de force majeure par la Cour d’appel de Gand car au moment de l’acte, le tuteur devait être réputé en état de juger si son pupille pouvait satisfaire à la condition d’inscription et à la condition de résidence principale (Appel, Gand, 22 février 2022, rôle n° 2021/AR/170, www.taxwin.be, concernant le régime d’abattement flamand encore applicable à l’époque).

La photo : le bâtiment Blomme qui abrite le rectorat de l’ULB. Ce bel ensemble de style moderniste a été édifié par Adrien Blomme (1928) en vue d’abriter sa famille, ses bureaux et quelques appartements de rapport. Le projet fut initialement refusé par la géniale Ville de Bruxelles qui estimait que le style déparait l’avenue des Nations (qui deviendra l’avenue Franklin Roosevelt en 1945). Cela montre l’opinion que recevait à l’époque le modern style et plus généralement tout ce qui était novateur. Encore aujourd’hui, du reste, sauf qu’il n’y a plus grand’ chose de novateur en architecture à Bruxelles. Et pour cause, on trouve souvent dans les prescriptions écrites du PRAS la maudite phrase suivante : « les caractéristiques urbanistiques des constructions et installations s’accordent avec celles du cadre urbain environnant » ; autrement dit, faites comme ce qui existe déjà et surtout ne changez rien …

Commentaires

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  1. Vincent #

    “ L’acheteur doit établir sa résidence dans l’immeuble dans les deux ans (art. 46bis, alinéa 5, 2°, b) et y maintenir sa résidence durant cinq ans (art. 46bis, alinéa 5, 2°, c).

    Si ces obligations ne sont pas remplies, l’acheteur sera tenu au paiement des droits complémentaires et d’une amende égale à ces droits complémentaires (amende souvent réduite).”

    Selon moi pas tout à fait correct, l’amende n’est pas une sanction prévue par l’article 46bis en cas de non-respect de la condition de maintien de 5 ans.

    Celui-ci prévoit en effet :

    “S’il s’avère que la déclaration visée au 2°, a), de l’alinéa 5, est inexacte, les acquéreurs sont indivisiblement tenus au paiement des droits complémentaires sur le montant de la réduction de la base imposable, et d’une amende égale à ces droits complémentaires.

    Les mêmes droits complémentaires et la même amende sont dus indivisiblement par les acquéreurs lorsqu’aucun d’eux ne satisfait à l’engagement visé au 2°, b), de l’alinéa 5. Lorsque certains acquéreurs ne satisfont pas à cet engagement, les droits complémentaires et l’amende auxquels ils sont indivisiblement tenus, sont déterminés en proportion de leur part légale dans l’immeuble acquis. L’amende n’est toutefois pas due lorsque le non-respect de l’engagement résulte de la force majeure.

    Sauf cas de force majeure, les mêmes droits complémentaires sont dus indivisiblement par les acquéreurs lorsqu’aucun d’eux ne satisfait à l’engagement visé au 2°, c), de l’alinéa 5”.

    L’amende n’est pas prévue pour ce dernier cas.

    janvier 12, 2023
    • Tout à fait. Ce n’est pas l’objet de l’article mais c’est une bonne précision que j’ai ajoutée. Merci beaucoup.

      janvier 14, 2023
  2. Elodie #

    Bonjour! Quid du cas d’un couple marié ayant acheté l’appartement en indivision avec le bénéfice de l’abattement, puis se séparant: la condition de résidence est-elle satisfaite si au moins l’un d’entre eux continue à habiter l’appartement pour le restant de la période de 5 ans?

    février 4, 2023
    • Adrien #

      Bonjour,
      Je suis aussi intéressé par connaître la loi dans ce cas.
      Je lis (dernier alinéa de l’art. 46bis du Code des droits d’enregistrements):
      « Sauf cas de force majeure, des droits complémentaires sur le montant de la réduction de la base imposable sont dus indivisiblement par les acquéreurs lorsqu’aucun d’eux ne satisfait à l’engagement visé à l’alinéa 5, 2°, c) [maintenir leur résidence principale dans l’immeuble acquis pendant une durée ininterrompue d’au moins cinq ans]. Ces droits complémentaires sont réduits en proportion du nombre d’années ininterrompues complètes durant lesquelles l’engagement précité a été respecté. »
      Il n’y a ici et ailleurs aucune mention du cas où seulement un des deux acquéreurs ne respecte pas l’engagement visé à l’alinéa 5, 2°, c). Peut-on dès lors conclure qu’il n’y a ni amende, ni droits complémentaires [càd. remboursements]?
      Sincèrement

      avril 27, 2023
  3. ingrid meertens #

    J’ai le cas d’une personne qui s’est vue notifier une demande de droits complémentaire 12 années après l’acquisition de l’immeuble qui a été vendu entretemps dans le cadre d’un règlement collectif de dettes .Elle ne s’est jamais domiciliée dans les lieux car a divorcé.
    Ma question est la suivante: dans quel délai l’administration fiscale doit elle constater l’infraction?
    Bien à vous.
    Ingrid Meertens

    mai 23, 2023

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