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Gilles Carnoy logo Carnet de route en Droit Immobilier

Carnoy & Braeckeveldt, avocats de l’immobilier à Bruxelles

L’occupation précaire devient juridiquement moins précaire

L’occupation précaire sera enfin reconnue par la loi. Et ce ne sera plus vraiment un contrat innommé puisqu’il sera visé par le Code civil, mais non organisé par ce dernier.

La proposition de loi déposée le 20 février 2025, insérant le livre 7 dans le Code civil, contient un article 7.3.1, alinéa 2, qui se lit comme suit :

« N’est pas un bail, un contrat par lequel une partie s’engage à fournir à l’autre partie l’usage et la jouissance précaire d’un bien moyennant un prix, pour autant que ce caractère précaire soit justifié par des motifs légitimes. »

Ce ne sera pas un bail, de sorte que les articles 7.3.1 jusque 7.4.1 ne gouverneront pas cette figure juridique. Il faudra aménager contractuellement la convention et on pourra évidemment s’inspirer du bail sans s’y fondre, naturellement.

La précarité ne signifie pas que l’on peut faire n’importe quoi : il faudra tout de même un préavis raisonnable pour faire cesser l’occupation car c’est prévu par l’article 5.75 Code civil.

Afin d’éviter la fraude à la loi, la jurisprudence exige des motifs légitimes. On vise notamment les contrats réglant des circonstances particulières, par exemple une situation d’attente entre deux périodes qui ne se suivent pas.

C’est ici une codification à droit constant (Cass., 29 février 2016, Cass., 2 novembre 2017, Cass. 19 novembre 2020). La Cour de cassation avait déjà statué en ce sens comme on le verra plus loin.

Qu’en est-il des exigences de sécurité de salubrité et d’équipement visées à l’article 4 du Code bruxellois du logement ?

Heureusement l’article 5, alinéa 2, précise que « les hébergements touristiques au sens de l’ordonnance de la Région de Bruxelles-Capitale du 8 mai 2014, les occupations temporaires à finalité sociale et les conventions d’occupation conclues entre un vendeur et un acquéreur dans le cadre de l’aliénation d’un logement sont exclues de l’alinéa 1er. »

Ce sont donc les seules occupations précaires en attendant que le vendeur trouve un autre logement qui ne doivent pas répondre aux normes applicables au logement.

Fiscalement, à l’IPP, les revenus d’une occupation précaire seront-ils intégrés dans les revenus immobiliers ?

Autrement dit, s’agit-il de « biens immobiliers qui sont donnés en location » au sens de l’article 7, § 1, 2°, du CIR ?

La locution n’est pas définie dans le Code, en sorte qu’il faut lui donner le sens que la loi lui donne, à savoir le bail au sens du Code civil.

Dans un arrêt récent où un loyer unique avait été payé pour la concession du droit d’exploiter une ancienne sablière, la Cour d’appel de Bruxelles a bien examiné le concept de location de l’article 7, § 1er, 2°, du CIR, au regard des caractéristiques du bail au sens du Code civil (Bruxelles, 6 juin 2024,  2017/AF/118).

Guère de raison de s’écarter de cette solution s’agissant d’une convention d’occupation précaire qui ne qualifiera expressément plus de bail selon le Code civil.

On applique alors l’article 7, § 1, 1°, CIR qui implique une taxation sur le revenu cadastral seulement outre, évidemment, le précompte immobilier.

On ne peut pas davantage appliquer le § 2, 3°, car l’indemnité d’occupation n’est pas  un « droit(s) immobilier(s) similaire(s) » à la constitution d’un droit d’emphytéose ou de superficie.

Même si l’opération présente un caractère inhabituel, qui excède la gestion normale de patrimoine privé, une taxation comme revenu divers ne peut pas davantage être appliquée.

En effet, il s’agit ici de revenus immobiliers qui ne peuvent être requalifiés éventuellement qu’en revenus professionnels, mais pas en revenus divers (Cass., 4 octobre 2013, F.12.0023.F).

Il faut ici aussi une véritable occupation et pas un bail déguisé.

L’administration garde un contrôle.

Enfin, quid en matière de TVA ?

Vu le caractère passif de la prestation du bailleur, la location immobilière est dans le champ de la TVA mais exemptée sans droit à déduction.

La location immobilière est définie par la jurisprudence de la Cour de justice :  il s’agit d’une convention conférant le droit d’occuper un immeuble pour une durée convenue et contre rémunération, exclusivement comme un propriétaire (J. Thilmany, « Location immobilière et TVA », Larcier, Bruxelles, 2009, p. 77).

C’est une notion autonome du droit de l’Union.

Les contrats sui generis répondant à la notion communautaire de location immobilière seront exemptés, quelques soient le droit national et la qualification retenue par les parties.

Le critère de la durée est essentiel (Y. Spiegl et alii, « Immobilier et TVA », R.P.D.B., Larcier, Bruxelles, 2023, p. 190 et 204).

Précaire signifie généralement court ou résiliable ad nutum, mais cela n’empêche pas de convenir une durée fixe, pour autant que l’exclusion du bail soit justifié par un motif légitime.

Cela signifie que si la durée n’est pas un élément déterminant et surtout consistant de l’occupation précaire, elle sera exemptée.

Dans le cas contraire, probablement plus rare, la convention d’occupation précaire conclue par un assujetti sera exemptée de la TVA.

L’acte contenant une convention d’occupation précaire doit-il être enregistré au droit proportionnel de 0,2 % (art. 83 CDE) ?

Le Code vise les baux au sens de l’article 1709 de l’ancien Code civil (E. et A. Genin, « Commentaire du Code des droits d’enregistrement », Van Buggenhout, Bruxelles, 1950, n° 506, p. 196 ; Werdefroy, « Droits d’enregistrement 2012-2013 », Kluwer, 2013, n° 147, p. 149).

Comme le livre 7 portera que l’occupation précaire n’est pas un bail, l’acte qui en fera l’instrument ne sera enregistrable qu’au droit général fixe de 50 €.

Revenons à la notion civile de l’occupation précaire.

Le futur livre 7 ne donne pas une définition de cette figure juridique.

Il se limite à poser que l’occupation précaire n’est pas un bail pour autant que ce caractère précaire soit justifié par des motifs légitimes. »

La Cour de cassation a posé que « le juge constate souverainement en fait qu’il résulte de la convention des parties et des circonstances dans lesquelles elle a été conclue que l’intention commune des parties fut, sans aucune pensée de fraude à la loi, de n’établir sur le bien, dont l’usage a été consenti, qu’une faculté d’occupation précaire, à l’exclusion de tout bail, et décide légalement que la convention litigieuse n’est ni un bail ni, plus précisément, un bail commercial et que, dès lors, elle ne tombe pas sous l’application de la loi du 30 avril 1951 sur les baux commerciaux » (Cass., 17 mars 1972, Cass., 30 avril 1971, Cass., 25 mai 1979, Cass., 29 mai 1980, Cass., fr., 20 décembre 1949, Cass., fr., 4 novembre 1960, et la note M. Dessiry ; M. La Haye et J. Van Kerckhove, Les Novelles, T. VI, 2, V° Baux commerciaux, n° 1381 et 1382 ; P.  Kokelenberg, « Précaire bezetting : versoepeling of ondermijning van de handelswet », R.W., 1970-1971, col. 1590).

Cette jurisprudence, qui abandonne au juge du fond la constatation d’une occupation précaire, n’en dessine cependant pas les contours.

C’est la doctrine du Prof. Herbots qui a donné à l’occupation précaire ses lettres de noblesse.

Selon lui, l’élément essentiel de ce contrat n’est pas sa durée, ni sa stabilité, ni son prix, mais son caractère provisoire justifié par des considérations objectives (J. Herbots, « Le provisoire, indispensable au contrat d’occupation précaire », note sous Comm., Gand, 22 décembre 2009 ; cette position est suivie par Y. Merchiers, « Le bail en général », Larcier, Bruxelles, 2015, p. 369).

Dans l’affaire commentée par le Prof. Herbots, le locataire commercial avait demandé une période d’essai précaire pour vérifier si son commerce serait rentable.

L’expérience ne fut pas concluante mais le bailleur prétendit que la qualification de bail commercial imposait une durée fixe.

Selon le Prof. Herbots, si la convention précaire sert à couvrir une situation intermédiaire, entre deux période, provisoire par hypothèse, il n’y a pas lieu à requalification de la convention d’occupation précaire.

Ce critère (période provisoire) l’emporte sur celui traditionnellement retenu par la doctrine classique, étant le caractère objectivement précaire de la jouissance, le propriétaire pouvant reprendre son bien à tout moment (B. Louveaux, « Le droit du bail commercial », Larcier, Bruxelles, 2011, p. 81 ; dans le même sens J.-M. Letier, « Le champ d’application de la loi », in Le bail commercial, La Charte, Bruxelles, 2008, p. 41).

La Cour de cassation a adopté la définition de Monsieur Herbots dans son arrêt du 29 février 2016 (annoté par N. Van Damme « Bezetting ter bede of wetsontduikende rechtshandeling ? Kanttekeningen bij de ontduiking van de handelshuurwet en de beweerde subjectieve benadering van het verbod op wetsontduiking »).

Dans cette affaire, l’avocat général Genicot relève :

« Ainsi que le relève à bon droit selon moi le mémoire en réponse, « si le droit du propriétaire de reprendre la chose à tout moment constitue en principe un élément caractéristique du droit d’occupation précaire, l’absence de cet élément ne permet pas d’exclure en toute hypothèse cette qualification lorsque la qualification retenue par les parties correspond à leur volonté commune telle que recherchée par le juge ».

En l’espèce, il résulte en substance des énonciations du jugement attaqué figurant aux pages 8 à 11 que celui-ci considère que, nonobstant l’ambiguïté de certains termes utilisés dans la convention conclue le 31 mars 2011 et intitulée « convention d’occupation précaire », celle-ci s’expliquait par la volonté commune non dissimulée et certaine des parties de résoudre une situation temporaire et qu’elle ne visait pas à éluder la protection légale accordée à la demanderesse, locataire à l’origine ».

C’est le caractère objectivement provisoire qui emporte la conviction de ce que l’occupation précaire ne constitue pas un bail (« résoudre une situation temporaire », comme dans la thèse défendue par M. Herbots).

Suivant l’avis de l’avocat général, la Cour de cassation a jugé :

« Par les énonciations reproduites au moyen, le jugement attaqué, qui considère que, sans aucune intention de contourner la loi sur les baux commerciaux et à défaut pour les parties d’aboutir dans leurs négociations pour conclure un nouveau bail commercial, leur volonté commune a été de permettre à la demanderesse d’occuper temporairement les lieux durant le temps nécessaire pour « écouler son stock de marchandises et rechercher un nouvel emplacement commercial », justifie légalement sa décision de qualifier la convention du 31 mars 2011 de convention d’occupation à titre précaire et non de bail commercial » (surligné par la concluante).

En d’autres termes, l’occupation précaire peut être constitutive de droit, rémunérée et à durée fixe, pour autant qu’elle soit provisoire, c’est-à-dire consentie pour une période temporaire, ou entre deux situations.

On peut penser qu’en définitive, la précarité se confond avec la notion de provisoire ? Cela ne veut plus nécessairement dire révocable ou juridiquement chétif. On verra si la jurisprudence suivra cette tendance.

En tout cas, la meilleure doctrine approuve cette solution (N. Bernard, « Les occupations précaires », Jurim Pratique, n° 2/2017, Larcier, Bruxelles, 2018, p. 79 ; cette publication a été actualisée dans N. Bernard et U. Carnoy, « Les occupations précaires en 2023 », Jurim Pratique 1/2023, p. 110 ; pour ceux qui ne sont pas abonnés à cette revue, voy. « Les occupations précaires, guide juridique et pratique », novembre 2018, www.perspective.brussels).

Une dernière remarque : la reconnaissance de l’occupation précaire dans la loi (le futur livre 7) mettra fin à l’incertitude pesant sur les commerces temporaires.

On se demande en effet si le « huur korte duur », le bail commercial de courte durée, n’excluait pas les occupations précaires (ordonnance bruxelloise du 25 avril 2019).

On pourra, à mon sens répondre à cette question par la négative.

La photo : Le Bandundu Water Jazz Band à Tervuren (Tom Frantzen, 2005). Cet ensemble de sculptures d’animaux musiciens est situé au centre d’une pièce d’eau dans le giratoire à la jonction de l’avenue de Tervuren et de la chaussée de Louvain, face au Palais des Colonies. À l’accordéon et au saxo, les grenouilles. Au tuba, une grenouille également. Au cor, l’hippopotame. À la guitare, la tortue. À la contrebasse et à la batterie, les crocodiles. À la trompette, le pélican. Chaque instrument projette de l’eau. En hiver, avec le gel, il font relâche. Il est regrettable que les sculptures soient placées au centre d’une véritable autoroute périurbaine car on ne peut l’admirer que de loin. C’est dommage pour les enfants.

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