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Carnoy & Braeckeveldt, avocats de l’immobilier à Bruxelles

Le transfert de la propriété et des risques dans la vente d’immeuble avant et après le livre 7 du Code civil

Dans la vente, le transfert de propriété intervient par la conclusion du contrat : l’obligation de dare est mort-née, selon la belle formule du Prof. Foriers car l’obligation nait et s’exécute entièrement en même temps.

Le report de l’effet du transfert de propriété n’y change rien, c’est bien la conclusion du contrat qui réalise l’obligation de dare.

La règle du transfert solo consensu est déposée dans l’article 1624 de l’ancien Code civil, juncto article 1138, alinéa 2. Elle est reprise dans les articles 3.14, § 2, alinéa 2, et 5.79 du Code civil.

Cela correspond aussi au transfert des risques, selon les article 5.80 (actuel) et 5.100 du Code civil : « Ainsi, si la chose vient à périr par un cas de force majeure après que l’obligation de donner a été exécutée, le créancier de la chose ne peut plus en exiger la délivrance, mais reste néanmoins tenu d’en payer le prix. »

Illustrons cette règle par deux arrêts de la Cour de cassation :

Cass., 29 mai 2020 :

Un terrain est vendu sous aléa faible d’inondation et le transfert de la propriété est reporté à l’acte, avec renonciation au droit d’accession. Les aléas d’inondation sont ensuite revus, et le terrain est porté en zone à risque élevé, rendant caduc le projet de lotissement.

L’acheteur tente alors de se libérer de la vente et le vendeur le cite en passation d’acte et en paiement.

La Cour de cassation rappelle que « … le transfert des risques est lié au transfert de la propriété, lequel se réalise, en règle, au moment de l’échange des consentements. Lorsque les parties prévoient un transfert différé de la propriété, le vendeur continue à supporter les risques, à moins qu’elles conviennent de dissocier le transfert des risques de celui de la propriété. »

En d’autres termes, le vendeur supporte le risque et, par application de la théorie des risque, l’acheteur ne doit plus payer le prix (Cass., 29 mai 2020, R.G.D.C., 2021, p. 467 et la note de A. De Boeck, « Het verband tussen eigendoms-en risico overdracht bij koop: twee handen op een buik » ; voy. aussi Cass. 9, novembre 1995, rôle n° C.93.0035.N, Pas., I, 1995, n° 482).

Cass., 2 novembre 2024 :

Le second arrêt porte sur une cession d’actions de société. Le prix était payable à terme et le transfert de propriété était reporté à la dernière tranche de paiement. Cela signifie que le vendeur supportait les risques.

Entre temps la société est déclarée en faillite et l’être moral est dissout par la clôture de la faillite. L’acheteur plaide que le transfert n’est plus possible et qu’il est libéré par la théorie des risques.

La Cour de cassation juge pareillement que «  … lorsque les parties reportent le transfert de propriété de la chose vendue jusqu’au paiement intégral du prix, le vendeur, qui reste débiteur de l’obligation de transférer la propriété auquel le transfert des risques est lié, continue à supporter lesdits risques, lors même que l’acheteur, débiteur du prix, a été mis en demeure de le payer. »

L’acheteur, même mis en demeure de payer, était libéré (Cass., 21 novembre 2024, rôle n° C.24.0099.F, www.juportal.be).

Le caractère purement consensuel de la vente organise donc le transfert  de la propriété et des risques dès l’échange des consentements.

En ce cas, l’acheteur supporte les risques avant même la délivrance. Si le bien vient à périr, l’acheteur n’est pas libéré du prix.

On perçoit le danger des offres succinctes acceptées et la réticence de la jurisprudence à y voir autre chose qu’un contrat préparatoire non encore constitutif de vente.

À l’inverse, si le contrat comporte une clause de réserve de propriété, le vendeur conserve les risques à sa charge, ceci même si la délivrance est intervenue.

Si l’actuel article 5.80 du Code civil reprend la règle de l’article 1138 de l’ancien Code civil, cette règle est jugée critiquable par les travaux préparatoires du livre 7.

C’est en effet une dérogation au droit commun de la théorie des risques dans les contrats synallagmatiques, de mettre les risques à charge du propriétaire et non du débiteur de l’obligation de délivrance.

Rappelons que c’est celui qui doit délivrer qui est le mieux à même de prévenir les risques.

La règle de l’article 5.80 actuel est en réalité une exception car elle est écartée dans les situations suivantes :

  • Dans les ventes commerciales (J. Van Ryn et J. Heenen, « Principes de droit commercial », T.III, 2e éd., Bruylant, Bruxelles, 1981, n° 673 à 675),
  • Dans l’article 69 de la Convention de Vienne sur les ventes internationales de marchandises.
  • Dans les ventes aux consommateurs (articles VI.44 et VI.61 du Code de droit économique),
  • Dans la loi Breyne (art. 5),
  • Dans la pratique notariale (point 13 du compromis Langage Clair – Bruxelles),
  • Dans le contrat d’entreprise du livre 7 (art. 7.4.25),
  • Et dans l’article 111 de la loi du 4 avril 2014 relative aux assurance qui prend en compte la date de l’acte.

Pour cette raison, la première version du projet de livre 7 comportait deux règles faisant correspondre la vente d’immeuble à la pratique :

Art. 7.2.18 :

§ 1er. Le transfert de propriété s’opère conformément à l’article 3.14, § 2.

Dans la vente d’immeuble, le transfert de la propriété est retardé jusqu’à la passation de l’acte authentique, sauf clause contraire.

art. 7.2.19 :

§ 1er. Le transfert des risques s’opère conformément à l’article 5.80.

§ 2. Dans la vente d’immeuble, les risques sont transmis à l’acheteur dès qu’il a l’usage ou la jouissance du bien, et au plus tard à la passation de l’acte authentique, sauf clause contraire.

Ce système prévoyait donc que le transfert de propriété s’accomplit à l’acte, de même que le transfert des risques, sauf si l’acheteur est déjà en possession du bien.

Paradoxalement, ce dispositif isolait totalement la règle générale de l’article 5.80 qui devenait une règle exceptionnelle.

C’est la raison pour laquelle la proposition de loi portant le livre 7, déposée le 20 février 2025, apporte la modification suivante à l’article 5.80 :

« Sauf accord contraire des parties, le transfert de la propriété n’emporte pas le transfert des risques qui ne s’opère que par la délivrance de la chose. Ainsi, si la chose vient à périr par un cas de force majeure avant la délivrance, le créancier de la chose ne peut plus en exiger la délivrance mais est réciproquement libéré de l’obligation d’en payer le prix. La délivrance implique la remise matérielle, symbolique ou intellectuelle du bien. »

Cette règle est également applicable aux contrats translatifs de droits réels ainsi qu’aux contrats constitutifs de tels droits vu la définition large de l’obligation de dare figurant à l’article 5.46, alinéa 3, du Code civil.

Cette modification de la règle générale rendait inutile le régime dérogatoire de la proposition de Livre 7 de la Commission de réforme du droit des contrats.

C’est ainsi que, dans la proposition de loi déposée le 20 février 2025, les articles 7.2.18 et 7.2.19 reviennent au régime général :

Art. 7.2.18 :

Le transfert de propriété s’opère conformément à l’article 3.14, § 2.

Art. 7.2.19 :

§ 1er. Le transfert des risques s’opère conformément à l’article 5.80.

Il en résulte :

  • Si le bien périt par force majeure avant la délivrance, le vendeur est libéré de son obligation de délivrance et l’acheteur est libéré de l’obligation de payer le prix.
  • À l’inverse, en cas de réserve de propriété, si le bien périt par un cas de force majeure après la délivrance, le vendeur est libéré de son obligation de transférer la propriété mais la vente n’est pas dissoute et l’acheteur, qui supporte les risques, reste tenu de payer le prix.

Il en résulte que l’article 5.100, alinéa 3 ne vise plus que les contrats translatifs dans lesquels l’impossibilité d’exécution de l’obligation de transférer la propriété ne suffit pas à entraîner la dissolution du contrat lorsque la délivrance est quant à elle déjà intervenue.

La photo : la fameuse pieuvre s’attaquant à la roue de la place Poelaert à Bruxelles. Rassurez-vous cet hommage à Jules Vernes est reparti à Amiens, patrie de l’écrivain, pour y célébrer les 120 ans de son décès. Le sculpteur est Pierre Matter. Le Nauti-Poulpe pèce 12 tonnes de bronze.

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