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Carnoy & Braeckeveldt, avocats de l’immobilier à Bruxelles

Piège dans le bail commercial : pas d’accord avant l’heure !

Le bailleur peut refuser le renouvellement du bail commercial ; en ce cas, il doit une importante indemnité au preneur, trois ans de loyer.

Le bailleur peut cependant motiver son refus par l’un des quatre motifs de l’article 16, I, 1° à 4°, de la loi sur les baux commerciaux.

En ce cas, selon les motifs, il ne doit pas d’indemnité ou une indemnité moindre.

C’est ainsi que le bailleur peut motiver son refus de renouvellement par la volonté de reconstruire le bien loué (art. 16, I, 3°).

C’est alors une indemnité d’un an de loyer qui est due, sauf si l’opération se justifie par la vétusté (art. 25, 1°).

Lorsque le bailleur motive son refus, il doit mettre en œuvre le motif invoqué. Il doit le faire dans les six mois du départ du preneur.

S’il ne le fait pas, sans justifier d’un motif grave, il devra une indemnité-sanction de trois ans de loyer minimum (art. 25, 3°).

Les indemnités fixées par la loi sont des forfaits.

Cela signifie que les parties peuvent remplacer les forfaits par des indemnités conventionnelles.

Mais cet accord doit survenir  « après l’ouverture de ce droit », donc du droit à l’indemnité, dispose l’article 25, alinéa 1.

C’est normal, je ne puis disposer d’un droit qu’après avoir réalisé que je pouvais l’acquérir.

Un arrêt de la Cour de cassation du 10 octobre 2024 illustre cruellement ces principes (rôle n° C.24.0089.F, www.juportal.be).

Le preneur s’était vu refuser le renouvellement au motif de ce que le bailleur entendait procéder à d’importants travaux.

Le bailleur doit réaliser ce motif personnellement et dans les six mois de la libération du bien.

Dans cette affaire, les parties avaient décidé une occupation précaire après la fin du bail parce que le preneur peinait à trouver endroit pour se rétablir.

Finalement, au moment où l’occupation prit fin, les parties réglèrent l’ensemble de la situation par une transaction.

C’est ainsi qu’il fut décidé de renoncer à l’état des des lieux de sortie et à tout dégâts locatifs et que l’on solda le compte de charges locatives.

Le bailleur accepta de payer une indemnité de 58.805 € et la convention précisa :

« Moyennant le paiement de la somme précitée, les parties reconnaissent ne plus avoir, tant dans le cadre du contrat de bail que de l’occupation précaire (…) de droits, dus ou actions l’une à l’égard de l’autre. »

Le bailleur va ensuite vendre le bien. Il ne réalisa pas de travaux, du moins pas personnellement.

Le preneur se dit alors qu’il pourrait encore demander une indemnité sanction puisque le bailleur n’avait pas réalisé le motif invoqué.

Or les parties avaient transigé sur leurs droits ; il n’était donc plus possible, en principe, de revenir sur cet accord qui était complet.

Certes, mais l’accord sur l’indemnité est soumis à une condition par la loi :

« Si le preneur a régulièrement manifesté sa volonté d’user de son droit de renouvellement et se l’est vu refuser, il a droit, dans les cas déterminés ci-après, à une indemnité qui, sauf accord des parties, survenant après l’ouverture de ce droit, est fixée forfaitairement (…) »

L’accord sur l’indemnité ne peut survenir qu’après l’ouverture du droit à l’indemnité.

Quand ce droit s’est-il ouvert ?

Au refus de renouvellement, certainement. À ce moment, le preneur a droit à l’indemnité d’un an sauf si les travaux sont imposés par la vétusté.

C’est l’indemnité de refus de renouvellement.

Mais il y a une autre indemnité, dite de sanction, si le motif de refus de renouvellement n’est pas réalisé dans le délai.

C’est donc après l’écoulement de ce délai que s’ouvre le droit à l’indemnité sanction.

Ce délai expirait après l’accord.

Donc l’accord sur l’indemnité ne fut pas pris après l’ouverture du droit comme le veut la loi ; l’accord est donc illégal.

En effet, une transaction ne peut être contraire à une disposition impérative.

Le preneur n’a donc pas pu perdre son droit à l’indemnité sanction même s’il avait transigé par un accord et déjà reçu 58.805 €.

Le juge de paix du premier canton de Bruxelles accorda au preneur une indemnité complémentaire de 117.410 €.

Le tribunal de première instance francophone de Bruxelles réforma ce jugement.

Le preneur forma alors un pourvoi en cassation.

Et la Cour de cassation va lui donner raison.

L’ouverture du droit à l’indemnité sanction se situe au moment où le bailleur ne réalise pas dans les six mois l’intention pour laquelle il a refusé le renouvellement.

La Cour de cassation l’avait déjà clairement dit dans un arrêt du 21 décembre 2000 (J.T., 2001, p. 631).

L’accord ne pouvait donc survenir au moment où il fut pris.

En effet, à ce moment, l’indemnité sanction n’était pas née, le bailleur n’étant pas encore en défaut de respecter le motif qu’il avait invoqué.

Le bailleur (qui porte la dénomination Immo Succès) s’était senti protégé par l’accord.

Il n’avait plus jugé utile de réaliser les travaux annoncés, il avait même vendu l’immeuble.

La situation est sévère car elle est totalement contrintuitive : il est fort rare de voir triompher une partie qui plaide contre un accord complet, conclu et exécuté.

Mais les choses sont-elles aussi simples ? Pas vraiment.

Tout d’abord, à première lecture de l’alinéa 1er de l’article 25, on constate que la règle vise l’indemnité de refus de renouvellement, pas l’indemnité sanction.

C’est par extension que la jurisprudence et la doctrine ont appliqué la règle aux deux indemnités.

Ensuite se pose la question de la portée de la convention.

Messieurs La Haye et Vankerckhove admettent que si l’accord porte, non pas sur l’indemnité, mais sur la restitution du bien à la libre disposition du bailleur, l’accord est valable (Les Novelles, T IV, vol. II, Les baux commerciaux, Larcier, Bruxelles, 1984, p. 309).

Mais ces auteurs précisent que la prudence s’impose dans la rédaction d’un tel accord.

Ils ont raison parce que les dispositions en matière d’indemnité d’éviction sont impératives en ce qu’elles protègent le locataire propriétaire du fonds de commerce (D. Janssens, « les indemnités d’éviction », in Le bail commercial, ouvr. coll., La Charte, Bruxelles, 2008, p. 488).

L’article 5.61 du Code civil dispose que  la partie protégée ne peut renoncer à la protection prévue par la règle impérative violée, qu’au moment où la raison d’être de la protection a cessé.

C’est pour cela que le preneur ne peut transiger sur l’indemnité sanction qu’après que son fait générateur soit survenu.

C’est pour cela aussi que l’article 25, alinéa 1er, s’applique aussi bien à l’indemnité de refus de renouvellement qu’à l’indemnité sanction.

Mais si la convention prévoit expressément que le bailleur est autorisé à ne pas réaliser le motif de l’éviction, ce qui ouvrirait normalement droit à l’indemnité sanction, la protection est satisfaite.

De cette manière, le preneur conclut l’accord en connaissance de ses droits.

C’est cela que veulent dire les auteurs précités en évoquant une convention par laquelle les parties organisent la restitution du bien à la libre disposition du bailleur.  

Monsieur Louveaux ne dit finalement pas autre chose (« Droit du bail commercial », Larcier, Bruxelles, 2011, p. 994) :

« Dès le moment où l’accord des parties porte sur l’inexécution par le bailleur de ses obligations et qu’il se fonde sur une inexécution que le bailleur déclare définitive, nous n’apercevons pas les raisons qui empêcheraient les parties de conclure une telle convention.  (…)

Les parties pourraient ainsi valablement transiger avant l’expiration du délai de six mois pour autant qu’elles constatent que le bailleur ne réalisera pas l’intention pour laquelle il a évincé le locataire. Mais encore faut-il qu’il apparaisse clairement que la convention

des parties est postérieure à la déclaration du bailleur qu’il n’exécutera pas le motif de l’éviction. »

Pour l’auteur, le droit à l’indemnité sanction nait dès que le bailleur annonce qu’il ne respectera pas le motif de son refus de renouvellement.

On peut alors transiger à ce moment, sans qu’il faille encore attendre six mois.

C’est exact mais à mon avis il faut ajouter que le preneur libère le bailleur non seulement de son obligation de respecter le motif de refus, mais aussi de l’indemnité qui en découlerait.

En effet, l’article 5.61 du Code civil exige que la personne protégée renonce à la nullité en pleine connaissance de cause.

Dans l’affaire en question, il n’était pas question de libérer le bailleur de l’obligation de réaliser son motif.

En effet, le texte stipule :

« 2) En raison de la durée de l’occupation et des travaux qui vont intervenir, les parties renoncent à faire un état des lieux et le bailleur renonce donc à tous dégâts locatifs. »

On voit que les travaux, motif du refus de re nouvellement, étaient prévus dans la convention.

Le bailleur n’en avait pas été déchargé. Donc l’indemnité sanction restait possible et le preneur ne pouvait pas y renoncer par avance.

En conclusion, prudence, prudence, dans ce genre de convention.

La photo : maison de style Art nouveau (Ernest Blérot, 1902), rue Vilain XIII 9 à Ixelles. Le bâtiment s’inscrit dans une remarquable enfilade d’immeubles homogènes de même style, du n° 5 au n° 13, réalisés par cet architecte. Les sgraffites à motifs végétaux et les allèges pareillement décorées, ainsi que les ferronneries, sont typiques de l’Art nouveau.

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