L’article 12 de la loi sur les baux commerciaux prévoit les situations dans lesquelles l’acquéreur du bien loué peut donner congé au locataire commercial.
Ce congé avec un préavis d’un an doit, notamment, être notifié dans les trois mois de l’acquisition.
Une option d’achat avait été consentie à une personne qui, dans ce contexte, était autorisée à percevoir les loyers.
Cela créait pour le locataire une situation apparente de titularité d’un doit réel conférant la jouissance du bien.
Le locataire commercial considérait que cette apparence lui permettait légitimement d’inférer que l’aliénation était intervenue et que le délai de trois mois avait pris cours.
Le locataire étant un tiers à l’acte d’aliénation, qui constitue un fait juridique pour lui, il avançait pouvoir se baser seulement sur la situation factuelle.
Or l’acquéreur avait donné congé dans les trois mois de l’acte authentique de vente, mais plus de trois mois après la situation invoquée par le locataire.
Le congé était-il valable ?
La Cour de cassation commence par poser qu’il n’existe aucun principe général du droit imposant le respect des attentes légitimes des tiers :
« Er bestaat geen algemeen rechtsbeginsel houdende eerbied voor de rechtmatige verwachtingen van een derde. »
La Cour de cassation va ensuite rejeter pourvoi qui reprochait au juge d’appel d’avoir fait courir le délai à partir de l’acte.
Pour la Cour, il résulte des articles 12 et 13 de la loi sur les baux commerciaux que l’acquéreur peut résilier le bail commercial dans les trois mois « à partir du moment où il acquiert un droit réel sur le bien qui lui en confère la jouissance ».
Il ne suffit pas qu’il se comporte comme un titulaire de droit réel par exemple en percevant les loyers (Cass., 18 octobre 2024, rôle n° C.23.0486.N, www.juportal.be).
Dans la langue de l’arrêt : « Hieruit volgt dat de verkrijger de handelshuur kan opzeggen binnen een termijn van drie maanden vanaf het ogenblik dat hij een zakelijk recht verkrijgt op het goed dat hem het genot ervan verschaft. Het zich louter gedragen als titularis van een zakelijk recht op het goed waaronder het innen van de huur voorafgaand aan het verkrijgen van dat zakelijk recht, volstaat niet. »
La question de la prise de cours du délai de trois mois a déjà fait couler beaucoup d’encre.
La loi utilise l’expression « un préavis d’un an donné dans les trois mois de l’acquisition ».
Ce délai est fixé par la loi pour ne pas laisser le preneur trop longtemps dans l’expectative.
Fort bien, mais qu’est-ce que « l’acquisition » ?
Différentes thèses se sont affrontées depuis 1951 ; elles sont recensées par Monsieur Louveaux (« le droit du bail commercial », Larcier, Bruxelles, 2011, p. 626 et suivantes) :
- À dater du compromis (thèse De Page) ?
- À dater de la date certaine de la vente (thèse Pauwels) ?
- À dater de l’acte authentique ?
- À dater de la transcription de l’acte authentique (thèse Dabin) ?
- À dater de la connaissance que le preneur a de la vente ?
Notons d’abord que le preneur n’est pas un tiers concerné par la publicité foncière puisqu’il ne détient pas de droit réel concurrent (Cass., 8 avril 1957, R.C.J.B., 1957, p. 98 et la note du Prof. Dabin).
Nous passerons les différentes étapes de la disputatio en doctrine car finalement les travaux du Bâtonnier Vlies ont apporté la solution actuellement retenue (« Le délai d’exercice du congé donné par l’acquéreur d’un bien loué », in Le bail : questions diverses, CUP, 1999, vol. XXVIII, p. 57).
Le délai de congé prend cours à la date à laquelle le transfert de la jouissance est acquis à l’acquéreur par une convention ayant date certain et opposable au preneur.
Cela désigne l’acte authentique emportant la transfert de la propriété et de la jouissance. Mais quid du compromis enregistré donnant déjà la jouissance à l’acquéreur ?
La date de l’acte en ce qu’il emporte le transfert de la jouissance a en tout cas été retenue par la jurisprudence (Cass., 21 janvier 2000, Pas., I, 2000, p. 55).
Ce qui apparait finalement de la longue évolution en doctrine c’est qu’il faut à la fois considérer le moment du transfert de jouissance et celui de sa date certaine. Et, bien évidemment, il faut l’aliénation de la propriété (R. Zalzburger, « L’aliénation du bien loué », in Le bail commercial, ouvr. coll., La Charte, Bruxelles, 2008, p. 455).
Monsieur Louveaux, dont la voix porte en la matière, considère qu’il faut une intervention du législateur car « le débat subsiste » (B. Louveaux, op. cité, p. 633).
Et, pour l’auteur, cela implique même que l’acquéreur, par sécurité, répète le congé à diverses reprises en fonction des évènements déclencheurs du délai de trois mois.
C’était déjà ce que disait La Haye et Vankerckhove dans les Novelles en 1984 !
Alors, l’arrêt du 18 octobre 2024 apporte-t-il une pierre à l’édifice ?
Sans doute car la formule retenue est claire : vanaf het ogenblik dat hij een zakelijk recht verkrijgt op het goed dat hem het genot ervan verschaft.
C’est la thèse précitée de l’acte conférant un droit réel emportant transfert de jouissance.
Un autre acte juridique comme une option d’achat (de la propriété) avec jouissance anticipée ne répond pas à la notion d’acquisition.
Mais il ne faut pas faire dire à cet arrêt plus qu’il n’en veut.
Il ne se prononce que par rapport à une situation d’apparence de transfert de propriété emportant jouissance, et dit que cela ne suffit pas.
C’est logique puisque l’article 12 figure sous le « § 6 De la transmission du bien loué » ce qui suppose un acte réel.
D’ailleurs l’arrêt se borne à exiger que le tiers acquiert (verkrijgt) un droit réel emportant jouissance, sans préciser la condition d’opposabilité de cette acquisition.
C’est logique également, car cela ne lui a pas été demandé. La Cour de cassation s’efforce toujours de ne pas répondre aux questions qu’on ne lui pose pas.
Il s’agissait seulement d’écarter l’acquisition apparente au profit de l’acquisition réelle.
Le pourvoi tendait finalement à revenir à la thèse de la connaissance du preneur au bénéfice du renouveau de la théorie de l’apparence (Cass., 22 janvier 2021).
Mais l’arrêt me rend pas un nouveau souffle à cette thèse.
En revanche l’arrêt utilise l’expression droit réel (zakelijk recht) et non vente et c’est heureux.
Cela ouvre en effet la porte de l’article 12 à l’emphytéose, l’usufruit ou le droit de superficie.
Mais cela, ce n’est pas vraiment nouveau dans le droit commun du bail, De Page le reconnaissait déjà (Traité, T. IV, n° 769 B).
La photo : un immeuble à appartements de style moderniste avenue Duray et avenue de la Folle Chanson à Ixelles (Adrien Blomme 1927), avec quelques éléments art-déco. L’immeuble est simple et majestueux, parfaitement rythmé pour ne pas être massif alors qu’il domine le coin formé par les deux avenues. Un peu plus bas, toujours dans l’avenue Emile Duray (n° 48) on trouve l’entrée du square du Val de la Cambre (1924-1925). Blomme en conçut le plan général ainsi que le dessin de plusieurs façades, pour le même promoteur (COGENI). L’inspiration est totalement différente quoique pratiquement contemporaine, l’architecture du Val étant de style traditionaliste et baroque. Cela illustre l’éclectisme de l’architecte Blomme, sans doute le meilleur que la Belgique ait produit.
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