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Carnoy & Braeckeveldt, avocats de l’immobilier à Bruxelles

La valeur actualisée de l’usufruit doit tenir compte de l’inflation

La valorisation de l’usufruit fait encore débat dans les montages à base d’usufruit.

C’est important car une surélévation de l’usufruit génère un ATN taxable dans le chef du dirigeant nu propriétaire.

Voyons une décision tirée du site taxwin (civ., Brabant wallon, 14ième ch., 1er septembre 2023, R.G. n° 22/768/A).  Le jugement est remarquable à deux titres :

  • Il rejette la position du SDA en ce que le SDA ne tient pas correctement compte de l’inflation,
  • Il valide la méthode de la doctrine récente (Monsieur Sanzot) basée sur l’approche « revenu » et non l’approche « OLO », tout en tenant compte de l’inflation.

Le jugement apporte ainsi des balises claires et adaptées à la situation actuelle.

Il s’agit d’une affaire portant sur les années 2007-2017 (c’est important pour les taux).

L’immeuble est acquis au prix de 540.000 €, soit en usufruit de 20 ans par la société au prix de 405.000 € (75 %) et en nue propriété par la gérante de la société au prix de 135.000 €.

L’évaluation est faite selon la méthode bien connue « Ruysseveldt ».

L’administration considère que l’usufruit a été surévalué (211.883,10 € versus 405.000 €) de sorte que la gérante a pu réduire son prix de nue propriété de 193.116,90 € (la différence).

Pour l’administration, ce montant constitue un ATN intégralement taxable dans le chef de la gérante.

Le litige avec l’administration s’articule sur la manière d’évaluer l’usufruit.

Comment le tribunal va-t-il évaluer l’usufruit ?

Le tribunal rappelle d’abord les principes généraux applicable :

« La valeur réelle (valeur économique ou valeur de marché) d’un usufruit correspond à la valeur actualisée des flux de revenus locatifs nets futurs qui pourront, au moins théoriquement, être perçus par l’usufruitier durant toute la durée de son droit.

Autrement dit, la valeur d’un usufruit correspond aux revenus que peut escompter l’usufruitier durant la vie de son droit.

Pour obtenir cette valeur actualisée de revenus futurs, il existe plusieurs méthodes.

En principe, aucune méthode ne devrait pouvoir être écartée. »

Le tribunal fait ensuite l’historique des pratiques du SDA dont la méthode (2010) tenait compte de l’inflation concomitamment au taux d’actualisation.

Ensuite (2016), vu la chute des rendements financiers, qui a eu pour conséquence d’augmenter la valeur des usufruits déterminée sur la base de cette formule, puisque le taux des OLO se réduisait à peau de chgrin, le SDA a adopté une méthode dans laquelle il n’est plus tenu compte de l’inflation et dans laquelle le rendement financier est remplacé par un rendement locatif net (loyer net/valeur vénale).

Concrètement, dans cette nouvelle approche, plus simple, le rendement locatif net s’entend de la valeur locative annuelle nette divisée par la valeur vénale de l’immeuble en pleine propriété.

Qu’en pense le tribunal ?

« Prévaut le principe de la valorisation économique de l’usufruit. Le SDA rappelle d’ailleurs également que la valorisation doit être examinée au cas par cas et tenir compte de l’état dans lequel se trouve le bien, des travaux encore à effectuer, des frais générés par la constitution de l’usufruit ainsi que de l’affectation effective donnée par la société au bien immobilier (notamment en ce sens Décision anticipée 2017.372 du 6 juillet 2017).

Il convient de retenir une valorisation économique correcte.

Le ministre des Finances a également arrêté ce principe de longue date. En effet, les réponses du ministre des Finances aux questions parlementaires du 29 avril 2008 de Madame Claes (Q.R., Chambre, 2007-2008, n° 022, p. 4916-4918(3)), du 18 avril 2005 de Monsieur Van der Maelen (Q.R., Chambre, 2004-2005, n° 077, p. 12907-12909(4)) et du 23 février 2005 de Monsieur Van der Maelen (Q.R., Chambre, 2004-2005, n°. 076, p. 12738-12740), confirment que les conséquences fiscales des mécanismes d’usufruit doivent être évaluées sur la base des données factuelles et juridiques propres à chaque cas.

La charge de la preuve de l’éventuelle surévaluation d’un usufruit repose sur l’administration (Anvers, 6 février 2018, R.G. n° 2016/AR/1415, www.taxwin.be ; Mons, 30 novembre 2009, cité par S. Van Crombrugge, « Quelle est la valeur de l’usufruit ? », Fiscologue, 1211, p.4 ; CIV ; Namur, 29 avril 2015, F.J.F., 2015/220). »

Le tribunal rappelle alors que la méthode préconisée par l’administration, par ailleurs imparfaite notamment si elle appliquée automatiquement à toute situation sans distinction, n’est pas contraignante pour les cours et tribunaux.

Le tribunal rappelle un jugement du 8 avril 2016, le tribunal de première instance de Leuven qui a décidé que « en l’absence d’une méthode de valorisation légale contraignante de l’usufruit […] il n’y a aucune raison de privilégier le mode de calcul de l’administration fiscale à celui des requérants » (R.G. n° 14/2818/A).

Que décide alors le tribunal ?

« Même si la méthode Ruysseveldt est imparfaite car elle tient compte des taux OLO qui ne sont plus actuellement adaptés, celle appliquée par l’Etat belge ne tient pas compte de l’inflation et révèle également son imperfection, laquelle est, aux yeux du tribunal, plus rédhibitoire.

En matière de valorisation de droit d’usufruit, ce qu’il faut déterminer c’est la valeur économique réelle du droit.

En raison des caractéristiques du droit d’usufruit sur le plan civil et étant donné que, dans le cas d’espèce, le droit d’usufruit porte sur un immeuble, il est normal de partir du revenu du bien afin de déterminer cette valeur (loyer ou valeur locative estimée, c.-à-d. exprimé en mathématiques financières, un flux futur qui courra pendant une durée déterminée).

La problématique principale réside dans le fait que ce revenu s’étale sur une période plus ou moins longue dans la durée. C’est ici qu’intervient le concept de l’annuité (ou, plus communément, de l’actualisation).

L’actualisation permet de rendre comparables des sommes d’argent disponibles à des dates différentes. Ainsi, 100 € placés au taux i du 1er janvier de l’année n au 31 décembre de cette même année vaudront à l’échéance 100 * (1+i). »

Le tribunal va alors mettre en application les principes retenus (les passages surlignés sont notre fait) :

« A l’achat, les demandeurs ont procédé à une valorisation économique de l’usufruit sur base de la méthode Ruysseveldt, laquelle a été appliquée par l’administration fiscale, les cours et tribunaux et le SDA (au moins jusque mai 2016). Ils ont notamment fait usage des critères suivants :

  • Une valeur locative brute annuelle à hauteur de 21.400 € (parallélisme avec l’ancienne location de la société) ;
  • Une indexation de la valeur locative de 2 %, qui correspond à un taux d’indexation convenu entre parties indépendantes dans le cadre d’une location immobilière ;
  • Des frais forfaitaires à concurrence de 6 % car il s’agit d’un bien immobilier à l’état neuf.
  • Une prime d’usage de 5 % ;
  • Un taux d’actualisation de 2,44 % correspondant au taux OLO à 20 ans (1.44 %) majoré d’un risque d’illiquidité de 1%.

L’Etat belge conteste les calculs réalisés par les demandeurs et applique la méthode SDA.

Le revenu locatif du bien, ou sa valeur locative, doit correspondre à celui de l’état dans lequel le bien se trouve au moment de l’évaluation (par conséquent, généralement, au moment où l’acte de démembrement sera établi).

Les parties s’entendent pour un revenu annuel brut de 21.400 €. L’Etat belge retient et déduit des coûts annuels de 7.779,76 €, soit plus de 36 %, ce qui est clairement exagéré et aboutit à un loyer annuel net sous-évalué.

Il n’est pas économiquement correct de tenir compte des frais de financement.

Le forfait de 6 % retenu par les demandeurs est faible mais est cohérent dès l’instant où il s’agissait d’un immeuble neuf et dont l’état est impeccable (voir dans le même sens : Gand, 6 juin 2017, R.G. n° 2015/AR/3365, www.taxwin.be).

Par contre, le tribunal ne perçoit pas la pertinence de retenir une prime d’usage de 5 %, comme le font les demandeurs.

Le rendement net du bien correspond par conséquent à l’équation suivante :

revenu annuel net/valeur vénale

C’est ce rendement net qui servira de vecteur d’actualisation (le taux i). En l’espèce, ce taux n’a pas été calculé de la façon reprise ci-avant. Les demandeurs se sont basés sur le taux OLO +1% (2.44%).

Or, le calcul du rendement net dans une approche de type « revenus » doit être le suivant : 20.116/540.000 = 3,72 %

La doctrine autorisée enseigne que : « Le taux d’actualisation constitue tant la clé de voute d’une valorisation économique réussie que l’une des variables assurément les plus discutables. (…) Jusqu’aux alentours des années 2015, il n’était pas contesté que le taux d’actualisation à prendre en compte était le taux correspondant aux OLO déterminé sur la durée de l’usufruit (par exemple, le taux OLO – 20 ans pour un contrat d’usufruit de 20 ans), majoré d’une prime de risque. Comme nous l’avons déjà exposé, rappelons que l’approche « OLO » peut être défendue par le raisonnement suivant : il est supposé que le bien est fictivement vendu et que le produit de la vente est réinvesti en bon père de famille dans une obligation OLO, réputée sans risque, dont la durée est égale à la durée du droit d’usufruit. Les OLO ne sont pas indexées sur l’inflation. Il s’agit en l’occurrence d’un revenu « brut d’inflation ». Par conséquent, il convient d’être cohérent : si le taux d’actualisation retenu est le taux OLO (ce qui ne se pratique plus depuis 2015 lorsque l’usufruit porte sur un bien immeuble – on lui préfère le rendement locatif net), il est normal de ne pas tenir compte de l’inflation dans le calcul de valorisation » (N. Bernard, A. Vandendries et E. Sanzot, « Droit d’usufruit, dirigeant d’entreprise et fiscalité », Jurim Pratique, 2022/2-3, pp. 162-163).

Le tribunal rejoint la position suivante : « Si l’on a recours à l’approche « revenu », il convient alors, selon nous, d’impérativement tenir compte de l’inflation, ce que le SDA ne retient pourtant pas dans la formule de valorisation qu’il propose. Ce faisant, nous estimons que la formule du SDA est conceptuellement erronée et conduit, inévitablement et mécaniquement, à une valorisation plus faible du droit d’usufruit sans fondement rationnel sous-jacent. Outre le fait que la formule « SDA » n’est pas légalement obligatoire et a uniquement été développée dans le cadre des demandes de décisions anticipées, l’absence de prise en compte de l’inflation en tant que donnée du calcul justifie la mise à l’écart de cette méthode ». « Ne pas tenir compte de l’inflation dans les formules mathématiques revient mécaniquement à surévaluer le taux d’actualisation (puisque la prise en compte de l’inflation se traduit par une diminution du taux d’actualisation de ce taux d’inflation calculée – généralement sous forme de moyenne) » (N. Bernard, A. Vandendries et E. Sanzot, « Droit d’usufruit, dirigeant d’entreprise et fiscalité », Jurim Pratique, 2022/2-3, pp. 163-164). »

Le tribunal rejette donc (partiellement) le calcul opéré par l’administration fiscale et celui présenté par les demandeurs.

Le tribunal retient un taux d’actualisation de 3,72 % (valeur locative nette/valeur vénale) tout en diminuant ce taux de l’inflation, soit 1,9 % (moyenne des taux d’inflation entre 2007 et 2017), ce qui revient à un taux d’actualisation de 1,82 %. Il se basera donc sur la méthode du SDA tout en tenant compte du taux d’inflation (correction).

Valeur de l’usufruit = 20.116 x [1 – [1/1+1,82 %)]20]/1,82 %

Ou

VU = R x [1 – [1/1+r)]n]/r

Et où

VU = valeur actualisée de l’usufruit

R = revenu locatif annuel net

r = rendement du bien : (revenu locatif annuel net / valeur vénale de l’immeuble lors du démembrement)-taux d’inflation cohérent

n = durée de l’usufruit.

En l’espèce, la valeur actualisée de l’usufruit est de 334.711,31 € de telle sorte que le montant de l’usufruit a été surévalué à concurrence de 405.000 € – 334.711,31€ = 70.288,69 € (au lieu de 211.883,10 €).

Que faut-il en retenir de ce remarquable jugement ?  Que la procédure correcte passe par le respect des étapes suivantes :

  • Approcher la valeur locative annuelle, soit un loyer qu’un tiers indépendant est prêt  payer pour louer le bien, en se plaçant au moment de l’acte.
    • En tirer la valeur locative nette en fonction de l’état du bien et des charges justifiables.
    • En tirer la valeur locative nette en fonction de l’état du bien et des charges justifiables.
    • Calculer de la sorte le taux d’actualisation dont à déduire un taux d’inflation tiré de la moyenne du taux de l’inflation.
    • Sans prime d’usage ni taux d’illiquidité (mais je ne vois pas pourquoi un taux de vide locatif ne serait pas retenu, par exemple, entre les baux).

    Cette formule n’est sans doute pas parfaite mais au moins corrige-t-elle la pratique contestable du SDA de ne pas tenir compte de l’inflation.

    Le tribunal cite la « doctrine autorisée », comprenez Monsieur Sanzot, dont le travail depuis des années est enfin reconnu.

    J’ignore malheureusement si l’administration a interjeté appel du jugement.

    La photo : de Krook, l’impressionnante bibliothèque de Gand située sur un coude de l’Escaut appelé autrefois « Waalse Krook » (méandre wallon), car des bateaux y amenaient du charbon de Wallonie. On y trouve aussi le centre de recherche flamand en nanoélectronique et technologies numériques et bien d’autres animations. Le bâtiment est l’œuvre des architectes gantois Coussée & Goris associés aux espagnols Aranda Pigem Vilalta Arquitectes (2017). Il ne faut en douter : Gand est la plus belle ville de Belgique.

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