Supposons qu’un bail contienne un droit de préemption au profit du preneur.
Que se passe-t-il lorsque le bail est expiré, reconduit, prorogé ou renouvelé ?
Le droit commun (fédéral) du bail, sous l’article 1738 prévoit que « si à l’expiration du bail écrit conclu pour une durée déterminée, le preneur reste dans les lieux sans opposition du bailleur, le bail est reconduit aux mêmes conditions, y compris la durée. »
Cela porte sur le bail écrit ; le bail tacitement reconduit n’tant pas écrit, il ne bénéfice pas du même régime pour une seconde reconduction tacite.
Les « mêmes conditions » dans cette disposition sont les conditions locatives ; pas les stipulations extra locatives comme le droit de préemption.
Dans le bail commercial, l’article 14, alinéa 3, de la loi du 30 avril 1951 prévoit que « si le preneur, forclos du droit au renouvellement, est, après l’expiration du bail, laissé en possession des lieux loués, il s’opère un nouveau bail d’une durée indéterminée. »
Cette tacite reconduction opère elle aussi à l’exclusion du droit de préemption. La Cour de cassation le confirme dans un arrêt du 26 juin 2023 (rôle n° C.22.0480.F, www.juportal.be) :
« Il ne suit pas de cette disposition (l’article 14) que le droit de préférence octroyé au locataire par le bail initial en cas de vente de l’immeuble loué serait reconduit dans ce nouveau bail. »
Quelle est la raison de ce principe ?
La lecture des conclusions de l’avocat général Hugo Mormont nous en apprend davantage.
La locution « nouveau bail » utilisés par l’article 14, alinéa 3, de même que sa durée spécifique ou encore son régime propre de congé donnent à penser que le bail obtenu en vertu de ce texte n’est pas la pure et simple continuation du bail antérieur, dans tous ses aspects, mais bien un bail distinct, de caractère provisoire et qui n’emprunte au précédent que les clauses, dont au premier chef le montant du loyer, nécessaires à l’existence précaire qui est la sienne.
C’est ce qu’enseignait Monsieur De Page selon qui « l’idée générale du système est, somme toute, celle-ci : le bail ancien est expiré. Le bail nouveau ne correspond, au fond, qu’à une situation essentiellement provisoire. Sinon, l’on aurait pris soin de conclure un bail en bonne et due forme, ou de renouveler de la même manière le bail ancien. […] Il s’ensuit que les clauses anciennes qui ne sont pas indispensables au fonctionnement de cette situation provisoire ne doivent pas être considérées comme renouvelées. Tel est, semble-t-il, le principe qui doit commander les solutions » (H. De Page, « Traité élémentaire de droit civil belge », Bruxelles, Bruylant, 1972, 3ième éd., tome IV, n°576 et 792bis, litt. A.1).
La doctrine est largement fixée en ce sens, considérant que la protection assurée par la loi relative aux baux commerciaux au preneur ne s’étend pas aux pactes accessoires que la loi n’envisage pas, dont le pacte de préférence en cas de vente du bien loué (M. La Haye et J. Vankerckhove, « Les baux commerciaux », Les Novelles, Bruxelles, Larcier 1970, tome VI, vol. 2, n° 1775 ; J. Vankerckhove et allii, « Les baux en général », Les Novelles, Bruxelles, Larcier 2000, 2ième éd., tome VI, vol. 1, n° 364 ; B. Louveaux, « Le droit du bail. Régime général », Bruxelles, Larcier 1993, p. 361 ; B. Louveaux, « Le droit du bail commercial », Bruxelles, Larcier 2010, p. 953 et 1181 ; G. Bertholet, note sous J.P. Jumet, 24 mai 1993, J.J.P. 1998, p. 31 et les références citées ; M. Godhaird, « Le bail commercial », Répertoire notarial, tome 8, vol. 5, n° 420 ; M. Vanwijck-Alexandre et S. Bar, « Le pacte de préférence ou le droit de conclure par priorité » in M. Vanwijck-Alexandre et P. Wéry (coord.), Le processus de formation du contrat, Bruxelles, Larcier 2004, coll. Commission université-palais, vol. 72, p. 178 et ss. ; J. Byttebier, « Het conventioneel voorkeur- en voorkooprecht : een mijnenveld voor de notariële praktijk”, T. not., 2001, p. 693 ; J. Herbots et alii, « Overzicht van rechtspraak. Bijzondere overeenkomsten 1995-1998 – Handelshuur », T.P.R., 2002, p. 411; J. Dewez, « Le régime juridique du pacte de préférence et les sanctions de sa violation : nouvelles perspectives », R.G.D.C., 2008, p. 433 ; B. Kohl, « La prolongation et la reconduction du contrat » in P. Wéry (coord.), La fin du contrat, Liège, formation permanente CUP, vol. 51, p. 293, C. Baré, B. Kohl et F. Onclin, « Le bail de droit commun, le bail d’habitation et le bail commercial : chronique de jurisprudence (2015-2020) » in B. Kohl (dir.), Actualités en droit du bail, Liège, Anthemis, coll. Commission université-palais, vol. 206, p. 190 (ces auteurs s’expriment dans le cadre du bail renouvelé, ce qui vaut à plus forte raison pour le bail tacitement reconduit) ; contra Y. Merchiers, « Le bail en général », Rép. Not., tome 8, vol. 1, n° 435 et J.P. Nieuport, 14 décembre 2010, J.J.P., 2012, p. 206).
Enfin la solution est aussi justifiée par le statut autonome, distinct du bail reconduit et marqué par une certaine précarité, du bail tacitement reconduit par l’article 14, alinéa 3.
C’est ainsi que la Cour de cassation à refusé à ce bail reconduit la faculté de révision triennale (Cass., 28 avril 2011, rôle n° C.08.0332.F, Pas. 2011, I, n° 283).
La photo : une façade de l’avenue René Comhaire à Berchem-Sainte-Agathe. Cette avenue présente une grande variété de style, on trouve de tout et de toutes les époques. Certaines maisons sont intéressantes.
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