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Carnoy & Braeckeveldt, avocats de l’immobilier à Bruxelles

Funding loss : le vent tourne

La chambre néerlandophone de la Cour de cassation revient, elle aussi, à la réalité.

La jurisprudence de la Cour a évolué en 2021 et reconnait enfin qu’un prêt artificiellement baptisé ouverture de crédit est et reste un prêt.

L’enjeu, c’est l’indemnité de remboursement anticipé :

  • Elle est légale et limitée à 6 mois d’intérêts dans le prêt par l’article 1907bis de l’ancien Code civil,
  • Elle couvre tous les intérêts jusqu’au terme du contrat dans l’ouverture de crédit, et dépend du bon vouloir de la banque ; c’est l’indemnité de funding loss.

Or rembourser un ancien contrat à taux élevé en se refinançant à taux bas n’est pas sans intérêt, sans jeu de mots.

Pour éviter cela les banques ont développé une théorie qui m’a toujours semblée artificielle mais qui a fait illusion.

Si le financement est donné par une ouverture de crédit, ce n’est pas un prêt, opposent les banques, et donc l’article 1907bis de l’ancien Code civil ne s’applique pas

Mais s’agit-il de deux contrats différents ? C’est toute la question.

Ces contrats sont à première vue bien différents.

  • Le prêt est un contrat réel qui se forme par la remise des fonds.
  • L’ouverture de crédit est un contrat synallagmatique, consensuel et non réel, portant engagement de mettre des fonds à disposition, que le crédité peut utiliser ou non.

Toute cela est bien exact.

Mais supposons que vous achetiez un immeuble sous condition suspensive d’obtenir un financement de 800.000 €.

Vous remettez le compromis à la banque et celle-ci vous accorde une ouverture de crédit de 800.000 €.

Il  est prévu que le remboursement s’effectue en 15 ans par mensualités égales comprenant intérêts et capital.

S’agissant d’une ouverture de crédit, la banque mentionne précautionneusement dans l’accréditif que vous pouvez prélever les fonds dans un délai de trois mois, sans obligation et même en une ou plusieurs fois.

Si vous ne tirez pas les fonds, une indemnité de réservation est due (par exemple 1,8 %).

Ces modalités sont en réalité totalement hors de propos.

La banque qui détient le compromis sait parfaitement que vous avez besoin  de 800.000 € toute de suite, que vous n’avez pas le choix de payer ou non votre acquisition, et que la vente ne vous permet pas de payer dans trois mois ni par prélèvements partiels.

La banque sait aussi que votre condition suspensive est réalisée, que vous allez immédiatement prélever les fonds et les rembourser selon l’échéancier prévu et annexé au contrat de financement et même à la grosse hypothécaire.

Bref que l’ouverture de crédit sera exécutée comme un prêt. Mais alors pourquoi l’appeler « ouverture de crédit » et l’habiller de clauses inadéquates ?

Pour contourner l’article 1907bis de l’ancien Code civil, brandir les clauses en question et prétendre que tout cela n’a absolument rien à voir avec un prêt.

Donc, si d’aventure vous voulez rembourser plus tôt, si vous vous refinancez ou tout simplement si vous vendez le bien, la banque peut vous imposer une indemnité de remboursement anticipée très élevée.

Et on la comprend : elle perd un crédit à 4 % ou mieux et reçoit des fonds qu’elle ne peut replacer à un tel taux.

Donc la banque vous réclamera une indemnité couvrant tous les intérêts prévus.

Certes la banque peut faire mieux que replacer les fonds à presque 0 %, bien sûr, mais elle prétend le faire pour justifier une indemnité, la funding loss, qui est en réalité dissuasive.

Et cela a marché. La jurisprudence s’est longtemps fait abuser par les clauses invoquées le plus sérieusement possible par les banques.

Pour ma part, j’ai toujours affirmé que prêt et ouverture de crédit ne se contredisaient pas.

Il n’est pas question de choisir telle ou telle qualification, ni même de requalifier.

Les deux contrats existent.

En effet, la banque vous accorde un mise à disposition de fonds, c’est l’ouverture de crédit, qui peut se réaliser de plusieurs manières. Par exemple par un prêt.

Bref, le prêt est le mode d’exécution de l’ouverture de crédit. Il ne faut pas requalifier l’un par l’autre, ils existent tous deux.

Et ce n’est pas parce que le prêt est réalisé dans l’ouverture de crédit que ce n’est plus un prêt régi par ses règles propres, contrairement à ce que plaident les banques.

Prenons un ouverture de crédit qui se réalise en escompte cédant. Ou en émission d’une garantie autonome.

Le rapport n’est-il plus cambiaire ? Bien sûr que si !

Le rapport n’est-il plus abstrait de sa cause ? Bien sûr que si !

Aucun banquier ne le niera.

Alors pourquoi le crédit qui se réalise en prêt n’est-il plus un prêt ?

Récemment, la Cour de cassation s’est – enfin – montrée sensible à cette évidente réalité. J’ai consacré de nombreux articles à cette question sur ce site.

Mais la chambre néerlandophone de la Cour faisait de la résistance.

Et manifestement, cela va changer avec l’arrêt du 14 juin 2021 (rôle n° C.21.0025.N, www.juportal.be).

Jugez-en (ma traduction) :

« un prêt d’argent est un contrat par lequel le prêteur met à la disposition de l’emprunteur une somme d’argent déterminée moyennant l’obligation de rembourser ce montant majorée des intérêts s’ils ont été convenus. C’est un contrat réel qui se forme par la remise des fonds.

La nature réelle du prêt n’est pas compromise lorsque les parties concluent préalablement un contrat consensuel pour un prêt qui débouche en un prêt dès que les fonds sont mis à la disposition de l’emprunteur.

L’ouverture de crédit est un contrat synallagmatique et consensuel par lequel le donneur de crédit met à la disposition du crédité, temporairement et à concurrence d’un montant déterminé, soit de l’argent soit du pouvoir d’achat, sans que le crédité ne soit obligé de faire usage du crédit. Il appartient au juge du fond d’apprécier si en réalité, le crédité dispose de la liberté de prélever ou nom le crédit.

Les juges d’appel qui constatent que, d’après le « contrat d’ouverture de crédit »,

  • le crédit est seulement destiné au financement d’une transaction unique,
  • le crédit est structuré d’une manière telle qu’une somme prédéterminée est immédiatement remise au crédité,
  • qu’en réalité il n’existe aucune possibilité pour le crédité d’appeler les fonds nécessaires en fonction de ses besoins et de différer ainsi le prélèvement du montant du crédit,
  • en sorte que la soi-disant liberté du crédité présente un caractère purement fictif,

et qui sur cette base jugent que la convention des parties doit être requalifiée en un prêt à intérêt, justifient légalement leur décision.

Le moyen ne peut être retenu. »

Dans la langue de l’arrêt :

« 1. Een geldlening is een overeenkomst waarbij de uitlener aan de lener een bepaald geldbedrag ter beschikking stelt onder de verplichting dit bedrag terug te geven, vermeerderd met interest indien die is bedongen. Het is een zakelijke overeenkomst die ontstaat door de afgifte van het geldbedrag.

De zakelijk aard van de lening komt niet in het gedrang wanneer de partijen vooraf een consensuele overeenkomst tot lening sluiten die uitmondt in een lening zodra het geldbedrag aan de lener wordt ter beschikking gesteld.

2. Een kredietopening is een consensuele en wederkerige overeenkomst waarbij de kredietgever aan de kredietnemer tijdelijk en tot beloop van een bepaald bedrag hetzij geld hetzij kredietwaardigheid ter beschikking stelt zonder dat de kredietnemer verplicht is om van het krediet gebruik te maken. Het staat aan de feitenrechter te oordelen of de kredietnemer in werkelijkheid over de vrijheid beschikt om het krediet al dan niet op te nemen.

3. De appelrechters die vaststellen dat blijkens de « overeenkomst van kredietopening » het krediet uitsluitend bestemd was ter financiering van een eenmalige transactie, het krediet zo « is gestructureerd […] dat onmiddellijk een voorafbepaalde som aan de kredietnemer wordt overhandigd », het voor de kredietnemer in werkelijkheid niet mogelijk was om « de benodigde geldsommen [af te roepen] naar haar behoeften en in functie daarvan de inbezitstelling van het kredietbedrag [uit te stellen] » zodat de « zogenaamde vrijheid van de kredietnemer een louter fictief karakter heeft » en die op grond hiervan oordelen dat de overeenkomst tussen de partijen geherkwalificeerd moet worden als een lening op interest, verantwoorden hun beslissing naar recht.

Het onderdeel kan niet worden aangenomen. »

On constate qu’après la chambre francophone, la chambre néerlandophone de la Cour de cassation, revient elle aussi à une appréciation concrète de la réalité de l’opération.

Lorsque l’objet du financement, de savoir commun, est inconciliable avec les habiles tournures de la convention imposée par la banque, il ne faut pas s’arrêter à l’apparence du contrat.

Il convient de lui donner la qualification qui correspond à sa nature.

Et si c’est bien un prêt, on appliquera l’article 1907bis de l’ancien Code civil.

Le ciel s’éclaircit pour les emprunteur qui veulent sans oser, rembourser leur crédit, pardon, leur prêt.

Un peu tard sans doute car cela concerne les crédits antérieurs au 1er janvier 2014, les opérations postérieures étant gouvernées par la loi Laruelle du 21 décembre 2013.

La photo : un jolie maison moderne à Uccle dont on appréciera le placement des fenêtres.

Commentaires

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  1. Christian Marie de Goussencourt #

    Est-ce cette modification des termes du Funding Loss s’applique également à un crédit d’investissement souscrit en janvier 2014?

    septembre 14, 2021

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