Dans son jugement du 29 octobre 2025, le tribunal de première instance francophone de Bruxelles impose un moratoire sur l’urbanisation et l’imperméabilisation des terrains non bâtis de 0,5 ha sur tout le territoire de la Région de Bruxelles-Capitale.
Cette affaire opposait plusieurs associations de défense de la nature, dont l’ASBL We Are Nature (excusez du peu) à la Région de Bruxelles-Capitale.
Un grand nombre de personnes avaient fait intervention volontaire dans la procédure.
Le tribunal ordonne à la Région de Bruxelles-Capitale de suspendre toute urbanisation et imperméabilisation des terrains non bâtis de plus de 0,5 ha jusqu’à l’adoption du nouveau PRAS (révision initiée par arrêté du 23 décembre 2021), et au plus tard jusqu’au 31 décembre 2026 (page 47 du jugement).
Concrètement, la Région et ses organes sont tenus de prendre toutes mesures nécessaires pour interrompre les projets concernés sur l’ensemble du territoire régional.
En quoi cette décision est-elle singulière ?
- Un moratoire potentiellement prolongé : le délai fixé au 31 décembre 2026 risque de s’allonger, la révision du PRAS dépendant d’un Gouvernement actuellement en affaires courantes – et qui pourrait le rester durablement. Les associations victorieuses pourraient alors solliciter une prolongation de la mesure devant le Tribunal.
- Absence d’appel de la part du Gouvernement : il semble que le Ministre Alain Maron ne souhaiterait pas interjeter appel, ce qui rendrait le jugement définitif. Une telle inertie poserait un réel problème de principe. Le Ministre-Président Rudy Vervoort et la Secrétaire d’Etat Ans Persoons (urbanisme) entendent absolument interjeter appel ; or l’article 69 de la loi du 8 août 1980 impose la collégialité au sein du Gouvernement. Un ministre ne peut décider seul.
- Des faiblesses de fond, car le jugement :
- Méconnaît gravement le principe de séparation des pouvoirs, en suggérant une liste de mesures concrètes à adopter par la Région (pages 44–45) : « la RBC dispose d’instruments juridiques permettant, notamment, d’enjoindre au fonctionnaire délégué soumis à son contrôle hiérarchique de suspendre un permis, de refuser la délivrance d’un permis ou encore d’adopter une ordonnance instaurant un moratoire sur certaines demandes de permis d’urbanisme ou de lotir » ;
- Ignore les besoins en logements et l’équilibre nécessaire entre politique de logement et protection de la diversité;
- Néglige les coûts économiques et délais supplémentaires pour les projets suspendus, y compris le renchérissement des matériaux ;
- Ignore les besoins en logements et l’équilibre nécessaire entre politiques de logement et protection de la biodiversité ;
- Ne tient pas compte des projets mixtes (urbanisme/environnement) ni de leurs standards environnementaux déjà élevés ;
- Omet le fait que chaque projet est précédé d’évaluations des incidences approfondies ;
- Crée une quasi-servitude non aedificandi à charge de tiers au jugement (effet relatif) au mépris du droit (de pleine prérogative) de propriété ;
- Modifie indirectement le zonage des plans, prérogative discrétionnaire de l’administration après information et participation du public.
- Des incertitudes d’exécution : la portée pratique du jugement soulève de nombreuses questions : définition d’un « terrain non bâti », calcul des 0,5 ha, effets collatéraux sur les permis en cours, etc.
Certes, le tribunal répond à ces objections dans son jugement, mais la motivation m’a laissé sur ma faim.
Plusieurs acteurs régionaux (Citydev, SLRB) ainsi que certains promoteurs privés envisagent actuellement la voie de la tierce opposition.
Par rapport à l’argument de la séparation des pouvoirs, le jugement s’inspire de ce qui avait été avancé par le tribunal de première instance à l’époque dans l’Affaire Climat (§ 2.3.2) :

Cela avait toutefois été nuancé en appel (Bruxelles, 30 novembre 2023, 2021/AR/1589, 2022/AR/737, 2022/AR/891) :

En l’espèce, je pense tout de même que le tribunal a été plus loin que la Cour dans l’affaire Climat dès lors qu’il se substitue à l’appréciation de l’autorité dans le choix des mesures à adopter.
Sujet très intéressant dans tous les cas, qui illustre, s’il allait encore, la porosité de la séparation des pouvoirs et le balancier entre ces pouvoirs, la passivité de l’un entrainant l’activité de l’autre …
La photo : la toiture-verrière de l’extension de la Maison communal de Ixelles, assez réussie.


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