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Gilles Carnoy logo Carnet de route en Droit Immobilier

Carnoy & Braeckeveldt, avocats de l’immobilier à Bruxelles

Cession d’universalité avec réserve de l’immeuble qui est loué : quid de la révision de la TVA ?

La TVA déduite à l’occasion d’un investissement affecté à l’activité soumise à la TVA doit être révisée (A.R. n° 3 du 10 décembre 1969) si le bien est désaffecté dans le délai d’affectation (15 ans pour un investissement immobilier).

L’usage fait du bien d’investissement est au cœur de ce principe.

Un arrêt de la CJUE du 27 mars 2019 (C-201/18, Mydibel) nous rappelle les notions utiles :

« Lusage réel ou prévu des biens ou des services est déterminant pour fixer limportance de la déduction initiale à laquelle lassujetti a droit et limportance des éventuelles révisions au cours de périodes subséquentes »

La révision vise à « établir un lien étroit et direct entre la déduction de la taxe payée en amont et l’usage des biens ou services en question pour des opérations soumises à la TVA à un stade ultérieur »

Il y aura révision si « le lien étroit et direct est rompu entre le droit à déduction de la taxe payée en amont et lusage des biens et services en question pour des opérations soumises à la taxe à un stade ultérieur » 

Un arrêt de la Cour de cassation du 23 mai 2025 (rôle n° F.21.0091.N, www.juportal.be) applique correctement ces principes.

Un assujetti exerçait ses activités dans un immeuble dont il avait acquis l’usage par droit d’emphytéose.

Il acquiert la moitié indivise du tréfonds, ce qui éteint (on dira plutôt neutralise) l’emphytéose sur cette moitié.

Le juge d’appel considère que cette moitié d’emphytéose cesse d’exister dans le patrimoine de l’assujetti ; est-ce une désaffectation qui provoque la révision ?

La Cour de cassation retient « … wanneer het daadwerkelijke of voorgenomen gebruik van de goederen of diensten niet wijzigt, er geen reden is tot herziening van de ten aanzien van dat bedrijfsmiddel in aftrek gebrachte btw » (lorsque l’usage réel ou prévu des biens ou des services ne change pas, il n’y a pas de motif d’opérer une révision de la TVA portée en déduction en ce qui concerne ce bien d’investissement).

Constatant que l’assujetti poursuivait son activité dans le bien sans aucun changement, la Cour de cassation casse l’arrêt de la Cour d’appel d’Anvers qui avait validé la révision a u motif de ce que l’emphytéose avait (partiellement) disparu du patrimoine de l’assujetti.

La notion du maintien d’une même activité nous ramène à la problématique de la cession d’une universalité dans laquelle le cessionnaire est censé poursuivre la personne du cédant.

Qu’en est-il lorsque le cédant s’est réservé l’immeuble dans lequel l’activité se réalisait et se réalise encore et qu’il le loue au cessionnaire ?

La location immobilière hors option de loyer avec TVA est une activité exemptée, ce qui désaffecte le bien d’investissement.

Il faudrait alors réviser la TVA déduite sur l’acquisition et les travaux, mais le cessionnaire poursuit la même activité et la personne du cédant ce qui s’oppose à la révision.

L’usage ne change pas.

Cette situation a donné lieu à plusieurs jurisprudences.

L’administration considère que le changement de destination – puisque l’immeuble va être utilisé pour une activité exemptée – donne lieu à une révision de la TVA payée en amont et déduite.

Un arrêt de la Cour d’appel de Bruxelles (2 novembre 2016, rôle n° 2014/AF/106, www.taxwin.be) considère que la cessionnaire ne continue pas la personne du cédant en ce qui concerne les immeubles puisqu’ils ne sont pas cédés avec le fonds de commerce.

Comme la location est une autre activité, exemptée, il y a lieu à révision.

La Cour d’appel d’Anvers a jugé dans le même sens (7 février 2023, rôle n° 2021/AR/1264, www.taxwin.be).

Pour la Cour de cassation (24 novembre 2017, rôle n° C.14.0578.F, www.juportal.be), la fiction légale de continuation par le cessionnaire de la personne du cédant ne s’étend pas à des biens qui ne sont pas compris dans l’universalité cédée.

Comme le droit au bail n’avait pas été cédé avec le fonds, mais créé à l’occasion de la cession (en l’espèce un apport), l’article 11 ne s’opposait pas à la révision de la taxe déduite sur l’immeuble.

Ce point de vue favorable à l’administration est repris par la Cour d’appel de Liège, ce qui n’étonnera personne (8 décembre 2023, rôle n° 2021/RG/507, www.taxwin.be).

Alors, la messe est-elle dite sur le sujet ?

Non, pas encore.

Saisie d’une question similaire, la Cour de cassation a (enfin) constaté qu’elle devait interroger la Cour de justice surl’interprétation de la portée de l’article 19 de la directive TVA.

Aussi, par application de l’article 267 du TFUE, la Cour de cassation a posé la question suivante à la CJUE (23 mai 2025, rôle n° Nr. F.22.0081.N, www.juportal.be) :

« Les articles 14, 19, 24 et 29, ainsi que les articles 184 à 190 de la Directive TVA 2006/112/CE et le principe de neutralité de larticle 1er, 2°, de la même Directive, doivent-ils être interprétés en ce sens que dans le cas où la possession dun immeuble est mise à disposition par une convention de location à la suite de la cession dun fonds de commerce, aucune révision nest à opérer chez le cédant du fonds de commerce, également loueur de limmeuble, de la TVA prélevée sur lacquisition, la construction, la transformation ou l’amélioration des fractions des bâtiments opérationnels qui sont donnés en location au cessionnaire et qui sont utilisés par le cessionnaire pour l’exercice de l’activité taxable cédée? »

On relève que la Cour de cassation prend la peine de préciser que l’immeuble est loué pour l’exercice de l’activité taxable cédée.

Comprenez sans changement d’usage.

Si la CJUE applique sa jurisprudence Mydibel qui prend justement ce critère en compte, on peut espérer un arrêt favorable à la fiction de l’article 19, alinéa 1, de la directive 112/2006 (transposée dans l’article 11 du Code TVA).

Cela impliquerait un changement de la jurisprudence belge et la possibilité de contester la révision en cas de cession de branche d’activité ou de fonds de commerce avec location de l’immeuble.

Détail intéressant, les deux arrêts de la Cour de cassation exposés dans cette contribution sont tous deux du 23 mai 2025. On y voit l’inspiration de l’arrêt Mydibel.

Et le moteur de la révision, dans l’arrêt Mydibel est la rupture du « lien étroit et direct (…) entre le droit à déduction de la taxe payée en amont et l’usage des biens et services en question pour des opérations soumises à la taxe à un stade ultérieur ».

Cela augure bien, mais attendons. 

La photo : le plafond miroir sur le port de Marseille. L’effet est saisissant.

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