Pour la Cour de cassation, les décisions de l’assemblée générale, bonnes ou mauvaises, légales ou illégales, subsistent et sortent tous leurs effets si elles n’ont pas fait l’objet d’une action en nullité dans les quatre mois de la réunion de l’assemblée (art. 3.92, § 3, du Code civil).
Le principe est qu’un acte affecté d’une cause de nullité ne disparait pas pour autant ; il subsiste tant qu’il n’est pas annulé.
Ce principe est repris en matière contractuelle par l’article 5.59, alinéa 1, du Code civil.
C’est évidemment contrintuitif. Devoir donner effet à un contrat, à un acte ou à une décision nulle et illégale, n’est pas un mouvement naturel.
Mais ce n’est pas l’existence d’une irrégularité qui fait sortir l’acte juridique de l’ordonnancement juridique, c’est sa sanction, la décision judiciaire d’annulation.
La matière de la copropriété est riche à ce sujet.
Par l’arrêt du 18 septembre 2017 (rôle n° C.17.0023.F), la Cour de cassation retint que le copropriétaire qui n’a pas attaqué une décision de l’assemblée générale fixant des provision sur charges, ne peut plus contester ces provisions.
Que les provisions sur charges ne soient pas régulièrement fixées ne les invalide pas si la décision de l’assemblée générale qui les fixe n’est pas annulée.
Il n’existe pas, dans ce ca domaine, de nullité virtuelle.
On note ici que cela concerne le statut comptable ou administratif de la copropriété. Son statut réel n’est pas en cause.
Rappelons qu’il existe deux moyens de faire modifier les charges fixées selon les quotités.
Une action spécifique en rectification de la répartition des quotes-parts ou de la répartition des charges (art. 3.92, § 7) et une action en annulation de la résolution de l’assemblée générale qui fixe les quotités ou les charges (art. 3.92, § 3).
Seule la seconde action est soumise au délai d’intentement de l’action de quatre mois (Cass., 4 avril 2002, rôle n° C.00.0171.N), à peine d’irrecevabilité.
Dans l’arrêt bien connu du 4 février 2008 (rôle n° C.06.0348.F) la Cour de cassation confirme le débouté d’un copropriétaire qui contestait un décompte de charges, au motif de ce qu’il n’avait pas agi en nullité de la résolution de l’assemblée générale qui adoptait le décompte.
Il est intéressant de relever que la contestation portait sur l’application du règlement de copropriété.
Le copropriétaire avançait que le règlement était contraire à l’ancien article 577-5, § 3, du Code civil.
Ce n’était donc plus dans le statut administratif de la copropriété que se logeait la cause de nullité, mais dans son statut réel puisque le règlement de copropriété en fait partie, avec l’acte de base.
La prochaine étape est l’arrêt du 2 mai 2024 du la Cour de cassation (rôle n° C.23.0175.N).
Cet arrêt étend le sujet, de la validité à l’opposabilité d’une décision de l’assemblée générale non attaquée dans le délai.
La résolution de l’assemblée avait modifié la répartition des charges sans respecter la majorité requise de 4/5 des voix (art. 3.88, § 1, 2°, a).
La décision était illégale mais elle n’avait pas été attaquée par un copropriétaire dans les quatre mois de la date de l’assemblée.
La Cour, fidèle à sa jurisprudence, confirme que la décision irrégulière conserve sa force obligatoire.
Mais c’est la deuxième branche du troisième moyen qui nous intéresse.
Le syndic considérait que la décision irrégulière de l’assemblée générale, qui n’ était pas été passée en forme authentique, n’avait donc pas été soumise à la formalité de la transcription.
La Cour de cassation retient ce qui suit.
La répartition des charges touche au statut réel de la copropriété.
Toute décision la modifiant doit donc faire l’objet d’un acte authentique modifiant les statuts, transcrit dans les registres du Bureau de Sécurité juridique (art. 3.30, § 1, 1).
Auparavant la modification de l’acte de base ne peut être opposée aux tiers titulaires de droits concurrents ayant contracté sans fraude.
Les tiers de bonne foi ne peuvent être atteints par une modification de la répartition des charges non transcrite.
Mais ceux qui sont concernés par la décision de l’assemblée générale modifiant la répartition des charges, ne sont pas considérés comme des tiers de bonne foi.
En ce qui les concerne, la décision de l’assemblée générale crée directement des droits et des obligations.
Or le syndic, suivi en cela par le tribunal de première instance néerlandophone de Bruxelles, avait écarté la résolution litigieuse au motif de ce qu’elle n’avait pas été authentifiée et transcrite.
C’est pourquoi la Cour de cassation casse le jugement.
Que peut-on déduire de tout cela ?
- La répartition des quotes-parts et le mode de répartition des charges peuvent être modifiés par le juge de paix au moyen d’une action du copropriétaire auprès du juge de paix. Cette action n’est pas soumise à un délai spécial.
- La décision régulière de l’assemblé des copropriétaires modifiant le statut réel du bien relativement aux charges lie tous les copropriétaires (art. 3.93, § 5).
- La décision irrégulière de l’assemblé des copropriétaires modifiant le statut réel du bien relativement aux charges lie tous les copropriétaires si et tant qu’elle n’a pas fait l’objet d’une action en annulation dans les quatre mois de l’assemblée.
- La résolution en question ne doit pas être transcrite car les copropriétaires ne sont pas des tiers de bonne foi.
- Pour les autres tiers de bonne foi titulaires de droits réels concurrents, la résolution doit être transcrite pour leur être opposable.
- Mais pour les tiers entrant dans la copropriété (acheteurs), les décisions antérieures à la vente leur sont opposables par la communication de leur existence faite par le vendeur, l’agent immobilier ou le syndic (art. 3.93, § 5, 1°).
- Les décisions postérieures à la vente sont opposables à l’acheteur par l’envoi recommandé qui en est fait par le syndic (art. 3.87, § 12).
- Quant au locataire, la résolution antérieure au bail de l’assemblée de copropriétaires lui est opposable (art. 3.93, § 1) à partir du moment où son existence elle lui est notifiée (art. 3.93, § 4).
- La résolution de l’assemblée en cours de bail est opposable au locataire dès la notification qui lui en est faite par le bailleur par lettre recommandée.
Reste encore une dernière question, celle de l’erreur matérielle. Un décompte de charge arrêté par l’assemble générale des copropriétaires peut en être affecté.
Or il existe un principe général du droit privé selon lequel l’erreur de calcul ne nuit jamais à la vérité : erreur ne fait pas compte (F. Cuvelier, « La rectification des erreur matérielles », in Les principes généraux du droit privé, J. Van Meerbeeck et Y. Ninane (dir.), Anthemis, Limal, 2023, p.p. 478).
Ce principe général du droit trouve aujourd’hui une expression dans l’article 5.2 du Code civil.
Il en résulte que l’on peut toujours revenir sur un compte erroné. La jurisprudence de la Cour de cassation énoncée plus haut ne devrait pas s’y opposer.
En effet, une erreur de fait ou même de droit ne constitue pas une décision frauduleuse, ni une décision irrégulière au sens où la loi ou les statuts de la copropriété ne seraient pas respecté.
Ce n’est pas nécessairement une décision abusive. C’est en tirer profit que l’abus peut paraître.
Ainsi, les causes d’annulation d’une décision de l’assemblée des copropriétaires ne portent pas remède à l’erreur matérielle.
La rectification subsiste donc comme protection naturelle contre l’erreur, même au delà du délai de quatre mois.
La photo : une maison moderne, de style moderniste (ce n’est pas forcément la même chose), 47 avenue de Floride à Uccle. La maison date de 1908 mais elle a manifestement traversé le temps en se modernisant.
Cette jurisprudence nouvelle fait suite à la modification de la loi. Dans le passé, un arrêt inédit de la cour de Cassation avait cassé une décision du tribunal de première instance de Bruxelles (appel de justice de paix) qui avait admis une répartition des charges selon un calcul différent de l’acte de base en ne disant rien de plus que ceci : l’acte de base est un contrat qui fait la loi des parties.