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Carnoy & Braeckeveldt, avocats de l’immobilier à Bruxelles

Le sort du projet immobilier commun en cas de discorde entre associés

Deux sœurs s’associent en vue de créer un centre sportif. À cet effet, elles procèdent à des acquisitions immobilières conjointes et à un acte d’échange.

Elles créent ce faisant une indivision volontaire entre elles. Sur les parcelles indivises, elles érigent un immeuble de douze appartements via un bail emphytéotique.

Elles finissent malheureusement par se disputer ce qui compromet la bonne fin de leur projet. Que devient alors leur indivision ?

L’affaire arrive devant la Cour d’appel de Mons qui constate que le projet immobilier est la cause de l’indivision et que « cette cause a disparu du fait de la mésentente grave et persistante entre les parties, celles-ci ne partageant plus aujourd’hui ce projet commun. »

Dès lors, juge la Cour d’appel, l’indivision volontaire « est devenue une indivision ordinaire soumise à l’article 815 du Code civil », disposition qui traduit le fameux principe « nul n’est tenu de rester en indivision ».

C’est pourquoi la Cour d’appel décide que « c’est à bon droit que la défenderesse en sollicite aujourd’hui le partage ».

La Cour de cassation voit les choses différemment.

Pour elle, l’existence d’une cause au contrat doit être appréciée au moment de la formation de celui-ci dont elle constitue une condition de validité et sa disparition ultérieure demeure, en règle, sans effet sur la validité du contrat.

Aussi, la convention d’indivision subsiste et on ne peut y appliquer l’article 815 de l’ancien Code civil (nul n’est tenu de rester en indivision) puisque cette disposition ne s’applique qu’à l’indivision fortuite et non contractuelle.

La Cour de cassation casse donc l’arrêt des juges montois (Cass., 16 janvier 2023, rôle n° C.20.0353.F, www.juportal.be).

Fort bien, mais tout cela n’est d’aucun secours pour les ex associés, désormais enfermé dans une indivision alors que leur projet est avorté par mésentente.

Quelle solution peut-on apporter à pareille situation ?

Rappelons d’abord qu’avant le nouveau Code civil, la théorie de la caducité par la disparition de la cause était limitée aux libéralités et aux clauses de tontine ou d’accroissement (Cass., 21 janvier 2000, R.C.J.B., 2004 et la note J.-Fr. Romain ; Cass., 6 mars 2014, Rev. Not. Belge, 2015, p. 517 et la note de A.-Ch. Van Gysel).

L’arrêt ci-dessus ne fait que confirmer que la caducité du contrat, par la perte de sa cause, n’est pas une cause générale d’extinction des obligations.

C’est une cause particulière propre à certains contrats seulement, comme les libéralités.

C’est regrettable car la jurisprudence en matière de tontine est parfaitement transposable : la Cour de cassation admet que lorsque le projet de vie commune disparait la caducité de la clause de tontine peut être invoquée par la perte de sa cause.

Dans une association économique, la disparition du projet commun met en œuvre un ressort similaire qui devrait profiter des mêmes effets en droit.

Reprenant les propos de l’avocat général Mormont, Messieurs Daniel et Laurent Sterckx voient deux remèdes à cette situation (« La fin de l’indivision volontaire : caducité, abus de droit et préavis », Rev. Not. Belge, 2023, p. 429) :

D’une part, exiger le maintien d’une indivision volontaire à durée déterminée après que le projet soit compromis peut dégénérer en abus de droit.

D’autre part, il est possible de résilier le pacte d’indivision avec un préavis suffisant lorsqu’il est à durée indéterminée.

Effectivement, un contrat a un terme, déterminé ou indéterminé.

S’il est indéterminé, chaque indivisaire peut y mettre fin moyennant un préavis suffisant ; c’est même expressément prévu dans le nouvel article 3.77.

S’il est déterminé, le terme peut être un nombre d’unités de temps. Il faut alors attendre la fin du terme, sauf si cela traduit un abus de droit.

Mais le terme peut être renfermé dans l’objet du contrat : un contrat pour réaliser tel projet prend fin quand le projet est terminé.

En ce cas, le contrat n’est pas résiliable et seule la théorie de l’abus de droit vient au secours des indivisaires irréconciliables.  

Et dans le livre 5 du nouveau Code civil ?

L’article 5.265 du nouveau Code civil dispose que « l’obligation devenue impossible à exécuter en nature pour quelque cause que ce soit, même si cette inexécution est imputable au débiteur, est de plein droit caduque, sans préjudice des sanctions ouvertes au créancier. »

Cette nouvelle disposition réglera le problème mais elle ne s’applique pas (malheureusement pour les sœurs dont question plus haut), aux situations nées avant le 1er janvier 2023.

Les effets de la caducité par la perte de l’objet sont décrits dans l’article 5.113.

On observera que le livre 5 ne traite pas de la caducité par la perte de la cause.

Il est seulement question de la perte de l’objet de l’obligation car l’article 5.265 figure sous le chapitre 5 intitulé « La caducité de l’obligation par disparition de son objet. »

Néanmoins la formulation de l’article 5.265 est très large puisqu’il est question d’une « obligation devenue impossible à exécuter en nature pour quelque cause que ce soit … »

Enfin, pour la tontine, il faut aller dans le livre 3, sous l’article 3.77, in fine, pour trouver les critères déterminant le préavis de résiliation de ce pacte lorsqu’il est à durée indéterminée.

Dans la pratique, pour justement éviter de rester enfermer dans une indivision, les pactes tontiniers s’étaient développés à courte durée déterminée, renouvelable. Ces pactes tontiniers à durée déterminée restent non résiliables.

La photo : maison et atelier en double corps de style moderniste (Léon D. Meunier, 1934) rue de l’Orient 118 à Etterbeek. L’immeuble abritait l’atelier du sculpteur Edmond de Valériola. Deux volumes au profil courbe se répondent de part et d’autre d’une travée axiale en retrait et sont reliés au niveau supérieur par un balcon en briques aux extrémités également arrondies. Cette disposition permettait d’augmenter les surfaces vitrées, et de nourrir l’atelier en lumière.

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