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Carnoy & Braeckeveldt, avocats de l’immobilier à Bruxelles

L’entreprise de construction et son inscription à la BCE

La Cour d’appel de Mons a rendu le 19 février 2020 un arrêt[1] intéressant.

Il s’agit de la validité d’un contrat de gros œuvre conclu par une entreprise inscrite à la BCE en qualité d’entreprise générale.

Cette entreprise n’était pas inscrite à la BCE pour la qualification de gros œuvre.

Cette qualification doit être justifié distinctement de celle d’entreprise générale.

Or le gérant de cette entreprise était porteur d’un diplôme d’ingénieur industriel en électromécanique qui le qualifiait pour l’activité de gros œuvre.

Cette circonstance est-elle de nature à valider le contrat, bien que la société ne soit pas inscrite à la BCE pour le gros œuvre ?

Voyons d’abord les principes applicables à la matière.

En Région Wallonne et en Région de Bruxelles-Capitale, une grande partie des activités d’entreprise de construction est soumise à un accès à la profession.

L’entreprise indépendante doit prouver les compétences de gestion de base et la compétence professionnelle dans son activité (art. 4 et 5 de la loi-programme du 10 février 1998).

L’arrêté royal du 29 janvier 2007 liste de nombreuses activités dans les métiers de la construction.

L’article 3 de l’arrêté précise que « toute personne désireuse d’exercer une des activités professionnelles, visées à l’article 1er, doit prouver disposer de la compétence professionnelle fixée par le présent arrêté. »

La réglementation de l’accès à la profession est d’ordre public.[2] Un convention qui y déroge est nulle[3], pour objet illicite (art. 6 du Code civil).

La preuve de l’accès à la profession repose sur l’entrepreneur[4].

La vérification de cet accès peut se faire par la consultation des données de la BCE qui reprend les compétences professionnelles et connaissance de gestion de base[5].

C’est à la date de la formation du contrat que l’entrepreneur doit justifier qu’il dispose des compétence professionnelles requise, pas au moment de l’exécution[6].

Quel sort réserver au contrat conclu en violation de ces règles ? Le contrat doit être annulé.

L’annulation opère avec effet rétroactif : cela ne signifie pas que le contrat n’ait jamais existé, ce qui relève de la fiction.

Cela signifie que le juge ordonne la restitution des prestations déjà accomplies en exécution du contrat annulé.[7]

Le compte des restitutions sera éventuellement complété par l’application des adages «  nemo  auditur turpitudinem suam   alleguans » et « in pari causa turpidutinis cessat repetitio »[8].

En vertu de l’adage « nemo auditur », personne ne peut demander en justice l’exécution d’une convention contraire à l’ordre public.

En vertu de l’adage « in pari causa », les parties sont renvoyées dos à dos, sans restitution, si elles participent toutes deux à la nullité.

S’il est aisé de restituer le prix d’un ouvrage, il est impossible de restituer une prestation de construction.

Pour le tribunal de première instance du brabant wallon, « en cas d’impossibilité de ce faire, il y a lieu à l’application des règles relatives à l’enrichissement sans cause »[9].

La cour d’appel de Liège définit le modus operandi dans un arrêt du 4 mai 2018 :

« Lorsqu’un contrat d’entreprise est annulé pour défaut d’accès à la profession, les restitutions réciproques constituent généralement le remboursement par l’entrepreneur des acomptes versés par le maître de l’ouvrage, d’une part, et la restitution par équivalent par le maître de l’ouvrage de la valeur des travaux réalisés, d’autre part, ces montants à restituer pouvant en outre être compensés.

Pour ce qui concerne la restitution par équivalent pour les travaux réalisés, les principes de l’enrichissement sans cause s’appliquent :

  • L’enrichissement correspond à la valeur normale des travaux selon le prix du marché, sans qu’il puisse excéder le prix des travaux sur base du contrat. Les vices et malfaçons affectant les travaux diminuent à due concurrence l’enrichissement qu’en retire le maître de l’ouvrage.
  • L’appauvrissement de l’entrepreneur, c’est la valeur de ses prestations dont il y a lieu de déduire le bénéfice de l’entrepreneur. »[10]

Enfin le compte de compensation exclut toute marge de l’entrepreneur, en règle 15 %, puisqu’il n’y a plus de contrat fondant ce profit.

Revenons à l’arrêt de la Cour d’appel de Mons rendu le 19 février 2020.

L’entreprise ne disposait pas d’une inscription à la BCE pour le gros œuvre.

Mais son gérant était ingénieur industriel en électromécanique, ce qui le qualifiait pour l’activité de gros œuvre.

Cette circonstance est-elle de nature à valider le contrat, bien que la société ne soit pas inscrite à la BCE pour le gros œuvre ?

Oui, répond la Cour d’appel de Mons :

« Il appert toutefois que le gérant de la société , Monsieur D. C. dispose d’un diplôme d’ingénieur industriel en électromécanique délivré par la Haute Ecole Roi Baudouin (pièce 55 du dossier de l’intimée), qui le qualifie notamment pour le gros-œuvre.

Par ailleurs, il résulte des données enregistrées à la BCE que Monsieur D. C. est gérant de l’entreprise depuis le 17 avril 212.

Il disposait donc bien de la qualification requise lors de l’exécution du chantier litigieux.

L’inscription à la BCE n’est pas l’unique moyen de démontrer qu’une entreprise dispose bien de l’accès à la profession requis : il est jugé que « la vérification de cet accès peut se faire par les consultations des données de la BCE qui reprend les compétences professionnelles et connaissance de gestion de base » (Liège, 19 janvier 2017, J.L.M.B., 17/508).

L’intimé produit un extrait du site « diplodb.be » qui indique que le diplôme obtenu par Monsieur C. couvre bien les activités de gros œuvre (pièce 55 de son dossier).

Il s’ensuit que bien que la situation doive être régularisée sur le plan administratif auprès de la BCE, la SPRL P. dispose donc bien, en réalité de la compétence en matière de gros œuvre et l’objectif de la législation afférente à l’accès à la profession est donc rempli.

Le moyen de nullité n’est donc pas fondé. »

Qu’en penser ?

L’article 5, § 3, de la loi-programme du 10 février 1998 pour la promotion de l’entreprise indépendante dispose que « la preuve de la compétence professionnelle, tant intersectorielle que sectorielle, est apportée par l’un des éléments suivants : 1° un des titres retenus à cette fin par le Roi ; (…). »

Tandis que l’article 9 dispose que : « l’inscription dans la Banque-Carrefour des Entreprises en tant qu’entreprise commerciale ou artisanale constitue la preuve qu’il a été satisfait aux exigences en matière de capacités entrepreneuriales, sauf preuve du contraire. »

La loi distingue donc deux étapes :

  1. La preuve de la compétence professionnelle (diplôme),
  2. La preuve des exigences en matière de capacités entrepreneuriales (inscription à la BCE).

La seconde se faisant au moyen de la première.

La Cour d’appel de Mons a considéré que le première preuve englobe la seconde qui n’en est que le traitement administratif sans aucune appréciation discrétionnaire.

C’est plus fidèle à l’esprit du texte qu’à sa lettre.

Mais c’est tout à fait en ligne avec les règles relatives au régime d’autorisation des articles III.3 et suivants du Code de droit économique.

C’est également parfaitement conforme à la règle selon laquelle le contrat ne peut être déclaré nul tant que subsiste la possibilité de le régulariser.

Cette règle est exprimée dans un arrêt de la Cour de cassation du 7 novembre 2019 (rôle n° C.19.0061.N, www.juridat.be) qui énonce :

“2. Behoudens de wet zich hiertegen verzet, blijft de overeenkomst in stand indien de ongeoorloofdheid van de overeenkomst wordt of kan worden ongedaan gemaakt, derwijze dat het doel dat de wet beoogt, wordt of kan worden bereikt.”

Ma traduction :

« Sauf si la loi s’y oppose, le contrat reste en vigueur si son illicéité est réparée ou réparable, en sorte que le but visé par la loi soit atteint ou puisse l’être. »

Cet arrêt est novateur, à mon avis, car la nullité du contrat s’apprécie en principe à sa formation ; ce qui arrive par la suite ne devrait pas influencer sa validité.

Je commenterai cet arrêt prochainement.

Revenons à la BCE.

Notons encore que selon l’article III.26, § 1er, du Code de droit économique, la citation ou la requête introductive notifié à la demande d’une entreprise soumise à inscription à la BCE mentionnera toujours le numéro d’entreprise.

À défaut, le tribunal accorde un délai pour justifier de l’inscription à la BCE.

Si l’entreprise ne prouve pas son inscription en cette qualité ou n’est pas inscrite à la BCE à la date de l’introduction de son action, le tribunal déclare d’office l’action de l’entreprise irrecevable.

Il ne faut pas confondre le défaut de mention du numéro d’entreprise dans l’acte introductif, et le défaut d’inscription à la BCE[11].

La mention du numéro d’entreprise est prescrite à peine de nullité relative dans tout exploit d’huissier par l’article 43, 2°, du Code judiciaire, et dans toute requête contradictoire par l’article 1034ter, 2°, du même code.

L’exigence d’inscription à la BCE, à la date de l’introduction de la demande principale (ou reconventionnelle selon l’arrêt de la Cour constitutionnelle du 21 mars 2007), est sanctionnée d’irrecevabilité.

Les sanctions sont différentes.

Mais ceci concerne la régularité de la procédure judiciaire sanctionnant un droit tiré du contrat d’entreprise. 

Cela reste étranger à la question de la validité dudit contrat.

La photo : la villa Bertraux, 59 avenue du Fort Jaco à Uccle (Louis Herman De Koninck, 1937). Superbe réalisation moderniste due à l’architecte qui inventa la première cuisine équipée, la fameuse Cubex, créant au passage le standard de 60 cm de large. La maison est organisée en plan carré qui permet d’amener la lumière dans chaque endroit. Les architectes Pascale Dedoncker et Xavier De Breucker habitent la maison et lui ont redonné vie. « Ce sont deux cubes emboîtés et une structure portante sur trois pilotis », expliquent-ils. Nouvelle illustration de ce que la beauté est dans la simplicité.


[1] rôle n° 2018/RG/843, inédit.

[2]  B. Louveaux, « Inédits de droit de la construction 2018-2019* (première partie)   », J.L.M.B., 2018/35, p. 1665.

[3] Mons, 27 octobre 2015, J.L.M.B., 2016, p. 886.

[4] Liège, 19 janvier 2017, J.L.M.B., 17/508.

[5] A. Delvaux et B. de Cocquéau, « L’ordre public en droit de la construction : un concept aux multiples ramifications », In Droit de la construction, Formation permanente CUP, vol. 166, Larcier, 2016, p. 29, n°16.

[6] Cour de cassation (1re chambre), 27 septembre 2018, J.L.M.B., 2019/27, sommaire, p. 1279-1281.

[7] Cass., 21 mai 2004, J.L.M.B., 2004, p. 1712.

[8] P. van Ommeslaghe, Droit des obligations,  vol.  1,  Bruxelles, PUB, 1999, p. 1985/132.

[9] Tribunal civil du Brabant wallon, 05/09/2014, R&J, 2014/4, p. 363.

[10] Cour d’appel de Liège – Arrêt n° F-20180504-5 (2016/RG/484) du 4 mai 2018, 06/05/2019, www.juridat.be.

[11] G. de Leval, « Eléments de procédure civile », 2e éd., Larcier, Bruxelles, 2005, p. 104. 


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