A l’heure actuelle, les époux sont le plus souvent mariés en régime de séparation de biens.
C’est le cas lorsque les revenus ou le patrimoine des époux est différent, ou quand leur profil est différent (indépendant, salarié).
En ce cas, il n’existe, entre les époux, ni communauté totale ni communauté partielle.
D’autre part, l’augmentation de la durée de vie fait qu’il est de plus en plus fréquent de se remarier.
En cas de de remariage, les époux ont souvent retenus des enfants d’une autre union.
Il n’est alors pas rare de voir apparaître dans les contrats de mariage, la clause dite Valkeniers, appliquant l’article 1388, alinéa 2, du Code civil.
Il résulte de cette clause que les époux ont renoncé aux droits qu’ils pourraient tenir l’un dans la succession de l’autre.
Cette clause protège les enfants d’un premier lit mais ne peut priver le conjoint de son droit d’usufruit sur l’immeuble affecté au logement principal de la famille ni sur les meubles qui le garnissent, ce qui est une sécurité sauf si l’immeuble est en société.
Pour la même raison, il est fréquent qu’un testament limite à la moitié l’usufruit du conjoint survivant (art. 915bis du Code civil).
Tout ceci rend attentif à la situation de l’époux moins loti.
Cet époux peut se trouver dans une situation difficile en cas de dissolution du mariage.
Comment prévenir ce risque ? Comment attribuer un bien à ce conjoint, par exemple un immeuble ou du capital ?
Réaliser une donation entre époux n’est pas une manière satisfaisante.
Une telle donation sera toujours révocable (art. 1096 du Code civil, par dérogation à l’article 894).
Elle est même révocable après le divorce (Cass., fr., 4 février 1992, D. 1992, p. 92).
La doctrine belge est en ce sens (Ch. Gysel (dir.), « Précis de droit des successions et des libéralités », Bruylant, Bruxelles, 2008, p. 297 ; Y. H. Leleu, « Droit des personnes et des familles », Larcier, Bruxelles, 2010, p. 539).
On peut aussi remédier à la situation par la conclusion d’une convention de compte entre époux.
Un conjoint propose de verser à l’autre un montant déterminé et de justifier cette opération à titre de contribution aux charges du ménage.
Il s’agit donc d’une convention à titre onéreux exprimant des obligations réciproques, ce qui exclut la qualification de donation (révocable).
Or le contrat de mariage contient en règle une clause présumant que les comptes entre époux sont réglés au jour le jour.
Il en résulte qu’il n’est en principe pas possible de refaire les comptes de la vie commune, en sorte que le montant versé à ce titre ne peut être discuté en cas de séparation.
La question est alors de savoir si la qualification de convention de comptes entre époux, est suffisante pour repousser le risque de révocation de la donation entre époux.
La qualification que les parties donnent à une convention lie en principe le juge qui doit en connaître.
Toutefois, le juge peut requalifier le contrat si la figure juridique adoptée par les parties est incompatibles avec la qualification qui lui a été donnée, ou si l’exécution donnée au contrat révèle une autre convention.
Cela pourra être le cas lorsque la contribution financière aux charges du ménage sera déjà essentiellement apportée par le conjoint versant les fonds, ou si la vie commune ne remonte pas à longtemps.
Dans ces cas, une telle convention ne prémunit pas les époux du risque de révocation après requalification, compte tenu de l’importance du montant remis et de la contribution que le conjoint apporte déjà au ménage.
Quelles sont les autres solutions ?
Écarterons la souscription d’une assurance vie sur la tête de l’époux à protéger et dont il sera bénéficiaire.
En effet, la loi du 10 décembre 2012 (M.B. du 11 janvier 2013) modifie l’article 124 de la loi du 24 juin 1992 (elle-même modifiée par la loi du 24 avril 2014) en ce sens que, en cas de décès du preneur d’assurance, la prestation d’assurance est, conformément au Code civil, sujette à réduction et, pour autant que le preneur d’assurance l’a spécifié expressément, à rapport.
Il en résulte que c’est le capital d’assurance qui est traité et non plus les primes payées et anormales.
De plus, sauf stipulation contraire, le capital est considéré comme une donation préciputaire, non rapportable mais réductible.
Un tel dispositif peut constituer un complément de la solution, mais ne suffit pas à réaliser la solution.
La discrète constitution d’un capital entre les mains d’un trust gouverné par un droit étranger, affecté à l’entretien du conjoint après le mariage, ne le protège pas d’une éventuelle qualification de donation et des incommodités juridiques qui en découlent (révocation du vivant de son auteur et réduction à son décès).
De plus, la loi du 30 juillet 2013 insère dans l’article 307, § 1er, CIR/92 l’obligation de mentionner dans la déclaration annuelle à l’IPP les « constructions juridiques » dont le contribuable, son conjoint ou ses enfants sont fondateurs ou bénéficiaires.
Par construction juridique, on entend une personne morale qui est soumise dans son pays d’établissement à un régime de taxation notablement plus avantageux que le régime belge.
L’article 2, § 1er, 13°, b) CIR/92 prévoit une liste de ces constructions juridiques. Cette liste est apportée par l’arrêté royal du 19 mars 2014 (M.B. du 2 avril 2014). On y trouve les trusts et fondations dans les pays accueillants.
Et les droits successoraux ? Ils sont exclus si le contrat de mariage contient une clause Valkeniers ; on se dirigera alors vers les avantages matrimoniaux.
Une manière aisée de transférer un patrimoine à un conjoint est de créer une communauté, fût-elle limitée à un actif, et de stipuler une clause d’attribution totale au survivant et de partage inégal en cas de dissolution du mariage par divorce.
Cela suppose une procédure de modification du contrat de mariage mais cette procédure a été récemment simplifiée (loi du 18 juillet 2008, Moniteur belge du 14 août 2008).
Les clauses de liquidation ne sont pas regardées comme des libéralités mais comme des conventions de mariage, à titre onéreux (H. De Page, « Traité élémentaire de droit civil belge », Bruylant, Bruxelles, 1949, T. X, n° 1162 ; Civ., Bruges, 30 octobre 1992, T.B.R., 1994, p. 85), même si elles aboutissent à attribuer à un époux une part supérieure à sa part légale dans le patrimoine commun.
L’article 1458, alinéa 2, du Code civil considère toutefois que l’attribution préciputaire sera considérée comme une donation, à concurrence de moitié, si elle a pour objet des biens que l’époux prédécédé a fait entrer dans le patrimoine commun par une stipulation expresse du contrat de mariage.
Notons que si c’est un immeuble qui est apporté en communauté, seul le droit général fixe de 50 € est prélevé. C’est la manière fiscalement la moins onéreuse de transférer un immeuble à une personne (qui doit être un conjoint).
En d’autres termes, la combinaison d’une clause d’apport et de préciput (attribution au survivant) sera partiellement traitée comme une libéralité du bien propre définitivement communautarisé (Ph. De Page, « La transmission successorale (ou à perspective successorale) du patrimoine immobilier », in Le Patrimoine immobilier familial, Anthemis, Louvain-la-Neuve, 2009, p. 228).
On doit à cet égard appliquer spécifiquement l’article 1465 du Code civil qui traite de la protection des enfants d’une autre union, cas que nous avons retenu.
Selon cette disposition, s’il existe des enfants d’une autre union, toute convention matrimoniale qui aurait pour effet de donner à l’un des époux au-delà de la quotité disponible, sera sans effet pour tout l’excédent.
Le montant de l’avantage, traité comme une donation envers les enfants d’un autre lit, est déterminé en comparant le résultat de la liquidation du régime selon les stipulations du contrat de mariage (modifié) à celui qu’aurait donné la stricte application de la liquidation du régime légal de communauté.
En d’autres termes, l’entrée d’un bien propre en communauté et son attribution inégale à la dissolution de celle-ci, à l’autre époux, ne sera pas une donation entre époux mais constituera toutefois une libéralité à l’égard des enfants d’une précédente union.
Cette libéralité sera réduite si elle dépasse la quotité disponible telle que déterminée par l’article 913 du Code civil.
Si l’époux apportant a deux enfants par exemple, cette quotité est d’un tiers : l’apport du bien (argent ou immeuble) mis en communauté et qui sera attribué à l’autre époux, sera traité envers les enfants comme une donation réductible au tiers du patrimoine net laissé par l’époux apporteur à son décès.
Et s’il faut protéger davantage encore les enfants de l’apporteur, la clause d’attribution de la communauté peut être assortie d’une « clause de residuo ».
Il s’agit d’une attribution de communauté assortie, en faveur des enfants, d’une condition résolutoire de décès du survivant des époux : à son décès, l’attribution sera résolue et les enfants issus du premier mariage reprendront, par l’effet de la résolution, les droits qu’ils auraient dû recevoir de leur auteur prémourant en l’absence de cette attribution.
Cette clause est souvent modalisée en vue de permettre au conjoint bénéficiaire de disposer de son vivant des biens communs objets de l’attribution (L. Rousseau, « Planification successorale », U.H.P.C., 2005, p. 16).
Sur le plan fiscal, l’article 5 du Code des successions assimile à un leg à l’époux survivant, la part excédentaire par rapport au partage légal, c’est-à-dire par moitié, par une clause de partage.
Ce « leg » est taxé comme tel dans la part successorale du conjoint.
Toutefois, l’article 5 ne s’applique qu’en cas d’attribution automatique de l’avantage matrimonial, par le fait du contrat de mariage qui l’organise (Appel, Brux., 23 juin 1999, R.G.E.N., n° 24.972, p. 541 confirmé par Cass., 19 octobre 2000, Rev. Not., 2001, p. 68 ; Ph. De Page, « La transmission successorale (ou à perspective successorale) du patrimoine immobilier », in Le Patrimoine immobilier familial, Anthemis, Louvain-la-Neuve, 2009, p. 231).
Il peut donc être possible de neutraliser l’article 5 en rendant alternative ou optionnelle l’attribution du patrimoine commun au survivant ou le partage inégal.
Le conjoint survivant pourrait ainsi disposer du droit d’opter entre l’attribution en pleine propriété ou en usufruit, ou encore de la seule moitié.
Il ne faut pas perdre de vue que la taxation sur base de l’article 5 suppose un avantage dépendant de la survie du bénéficiaire, c’est-à-dire au décès de l’autre époux.
Si le contrat de mariage désigne déjà nommément l’époux bénéficiaire, indépendamment du décès de l’un des époux, on se trouvera dès lors en dehors du champ d’application de l’article 5.
Mais cette formule peut-elle être appliquée sans verser dans l’abus fiscal au regard de l’article 106 du Code des successions ?
En effet, le point 2, premier tiret de la circulaire anti-abus n° 8/2012 du 19 juillet 2012 dispose que « … les opérations juridiques suivantes seront considérées comme abus fiscal, à moins que le contribuable prouve que le choix de l’opération juridique ou de l’ensemble des opérations juridiques répond à des motifs autres que fiscaux : clauses d’attribution unilatérale ou clauses de partage inégal de la communauté conjugale, sans condition de survie (mieux connue sous les termes de clause mortuaire) (atteinte à l’article 5 C. Succ.) ».
De plus, on a vu que l’article 1465 du Code civil traite l’attribution excédentaire comme une donation, du moins à l’égard des enfants d’un autre lit.
Bien que ce soit controversé, l’administration utilise cette fiction en sa faveur, alors que l’article 1465 ne vise que les enfants d’une précédente union et n’a pas de portée fiscale, pour prétendre taxer l’avantage sur base, cette fois, de l’article 2 du Code des successions.
En effet, selon cette disposition, les droits de succession sont dus sur les biens successoraux, sans distinguer selon qu’ils sont transmis en suite de dévolution légale, de disposition testamentaire ou d’institution contractuelle.
De toute façon, il faudra prévoir dans le contrat de mariage ou dans le contrat modifié, que l’apport est réalisé sous la condition résolutoire du prédécès du conjoint de l’apporteur.
De cette manière, le bien apporté sort du patrimoine de la communauté et revient dans le patrimoine propre de l’apporteur.
Il n’entre pas dans la base taxable et revient dans la famille de l’époux apporteur.
En résumé, pour avantager un époux économiquement plus fragile, en lui transmettant un immeuble par exemple, l’apport à une communauté réduite à ce immeuble, peut constituer une solution économique mais différée.
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