Une société représentée par son administrateur délégué donne un immeuble à bail commercial.
Il se fait que, fort malheureusement, cet administrateur délégué n’était pas sain d’esprit lorsqu’il a conclu l’opération.
Cette situation affectant le mandataire de la société peut-elle conduire à considérer que le bail est nul ?
Autrement dit, la capacité de la société se confond-t-elle avec celle de son organe ?
Le tribunal de première instance de Tongres, réformant le jugement du juge de paix de Genk, retient que le mandataire qui agit dans les limites de son mandat, ne s’engage pas personnellement.
Le contrat que le mandataire conclut intervient directement entre le mandant et le tiers.
La nécessité de protéger l’incapable ne se pose pas puisqu’il n’engage ici pas son propre patrimoine. Le bail est donc valable, en déduit le tribunal.
La société, mécontente du bail, forme un pourvoi en cassation.
Le pourvoi reconnaît qu’un incapable peut être mandataire (arg. art. 1190 du Code civil) en sorte que cela n’a pas d’influence sur l’engagement du mandant envers le tiers.
Le mandant supporte donc le risque d’avoir conféré un mandat à une personne incapable.
Mais cette règle n’est pas applicable, oppose le pourvoi.
En effet, le pourvoi fait habilement remarquer qu’en l’espèce le mandataire n’était pas incapable lorsqu’il a reçu procuration ; la perturbation d’esprit n’est venue qu’après et était certaine lorsqu’il a donné à bail.
Il n’est donc pas question d’un mandant qui a pris le risque de désigner un mandataire incapable.
Comme l’article 1990 n’est pas d’application, il faut revenir aux principes.
Et, selon les principes, pour apprécier la nullité relative de l’acte posé, c’est le consentement du mandataire qu’il faut prendre en considération et non celui du mandant puisque, par l’effet de représentation, le consentement exprimé par le mandataire vaut pour le mandant.
Que répond la Cour de cassation ?
La Cour de cassation rappelle d’abord les principes.
«En vertu de l’article 1984 du Code civil, le mandat est un acte par lequel une personne donne à une autre le pouvoir de faire quelque chose pour le mandant et en son nom.
En vertu de l’article 1108, alinéa 2, du Code civil, le consentement de la partie qui s’oblige est une condition de validité de la convention.
Il s’ensuit, dit la Cour de cassation, que le mandant peut demander l’annulation, pour vice affectant son consentement, d’un acte juridique posé par le mandataire à un moment où celui-ci est devenu incapable en fait d’exprimer sa volonté, alors qu’il ne l’était pas au moment de sa désignation. »
Le juge d’appel avait jugé que la circonstance qu’un mandataire soit ou devienne incapable en fait d’exprimer sa volonté n’avait aucune influence sur l’obligation du mandant envers le tiers traitant avec le mandataire, à condition que le mandataire ait agi dans les limites de son mandat.
En décidant cela, conclut la Cour de cassation, les juges d’appel ont violé les dispositions en matière de mandat.
L’enseignement de l’arrêt est que si le mandant désigne un mandataire qui perd l’esprit après sa désignation, le mandant pourra invoquer un vice de consentement dans le chef de son mandataire.
Faut-il en déduire, comme le pourvoi le suggère, que si le mandant désigne un mandataire dont le consentement est déjà affecté au moment de sa désignation, cette circonstance ne pourra pas être appelée pour invalider les actes du mandataire ?
La Cour de cassation ne le dit pas et ne devait pas le dire puisqu’un arrêt n’est qu’une réponse à un pourvoi.
Je pense qu’il ne faut pas s’arrêter à la terminaison de la phrase « alors qu’il ne l’était pas lors de sa désignation. »
La solution ne dépend pas de ce que le mandataire n’ait perdu la raison qu’après sa désignation.
En effet, il ne faut pas confondre deux concepts différents : la capacité juridique (être majeur, ne pas être interdit ni failli) et la capacité physique (être sain d’esprit, pouvoir exprimer un consentement valable).
Il est vrai que le mandataire ne doit pas avoir la capacité juridique pour conclure l’acte (C. Paulus et R. Boes, « Lastgeving. Algemeenpraktische rechtsverzameling », Story Scientia, 1978, p. 40).
Monsieur De Page dit très clairement que les incapables peuvent être choisis comme mandataire car ils ne sont « qu’un simple instrument entre les mains du mandant » (H. de Page, « Traité élémentaire de droit civil belge », T. V, n° 383).
Cela ressort de l’article 1990 (mineur émancipé) et l’on notera cependant que l’article 1028 du Code civil exige que l’exécuteur testamentaire soit juridiquement capable.
Mais, le mandataire doit avoir la capacité physique ou mentale pour émettre une volonté au nom du mandant (R.P.D.B., verbo « mandat », n° 108).
Que ce mandataire ait été capable juridiquement ou non, lors de sa désignation comme mandataire, n’y change rien.
Certes, le mandat donné à une personne qui n’est pas saine d’esprit lors de sa désignation, qu’elle soit ou non capable juridiquement, pourra être annulé, tout comme ce mandant pourra être annulé si le mandataire est incapable.
Mais l’acte posé entre temps ne pourra être annulé à l’égard du tiers qu’à la condition que le mandataire ait été hors d’état de manifester un consentement valide au moment où il a posé l’acte pour son mandant.
En d’autres termes, la solution de l’arrêt paraît bien générale car elle résulte de l’effet de représentation, sauf la responsabilité du mandant négligent.
Pour le mandat social, le droit des sociétés est-il susceptible d’indiquer une solution différente ?
On sait que selon l’article 526 du Code des sociétés, le tiers ne doit pas s’interroger sur les pouvoirs du délégué à la gestion journalière.
Mais cela ne signifie pas que le tiers puisse invoquer cette disposition lorsque l’organe ne détient pas la capacité physique d’agir juridiquement, sous réserve de la responsabilité de la société qui a laissé agir un délégué inapte.
Enfin, le mandat est, en règle, un contrat intuitu personae. Cette caractéristique est-elle de nature à induire des conséquences en la matière ?
Pour soutenir que l’inaptitude physique met fin au mandat, il faudrait reconnaître à cette situation une cause de caducité du mandat.
Mais ce serait de toute façon perdre de vue que, lorsque le mandat a pris fin, les engagements du mandataire doivent être exécutés à l’égard des tiers qui sont de bonne foi (art. 2009).
Invoquer une prétendue caducité du mandat pour inaptitude ne suffira donc pas ; le mandant devra poursuivre l’annulation de l’acte du chef de vice de consentement.
Enfin, la théorie du mandat apparent peut-elle apporter au tiers un remède à l’annulation de l’acte conclu avec lui ?
La réponse est négative car la théorie du mandat apparent restaure les effets du mandat là où n’existe pas de mandat.
Dans le cas qui nous occupe, l’existence du mandat n’est pas en cause, mais bien la validité de l’acte posé en exécution du mandat.
En revanche, la responsabilité extra contractuelle du mandant pourra être appelée pour réparer la perte du contrat pour le tiers, si le maintien du mandat à une personne inapte relève d’une faute du mandant.
C’est pourquoi la réserve de la Cour de cassation « alors qu’il ne l’était pas (inapte) lors de sa désignation » prend toute son importance.
Si le mandant confie consciemment un pouvoir de représentation à une personne mentalement inapte, il crée fautivement une situation dont il devra répondre envers les tiers.
Mais cette situation sera réglée selon le droit de la responsabilité, pas selon le droit du mandat.
(Cass., 7 janvier 2010, rôle n° C.08.0594.N, www.juridat.be).
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