Skip to content

Gilles Carnoy logo Carnet de route en Droit Immobilier

Carnoy & Braeckeveldt, avocats de l’immobilier à Bruxelles

Le maître de l’ouvrage a-t-il un recours du contre le sous-traitant ?

Cette question reçoit depuis toujours une réponse de principe négative.

Cette réponse trouvait sa raison dans l’article 1165 de l’ancien Code civil et la retrouve aujourd’hui dans l’article 5.103 du nouveau Code civil.

Ces dispositions ne permettent pas au maître de l’ouvrage de puiser un droit dans un contrat auquel il est tiers.

Et pourtant !

Il est d’abord acquis que si le sous-traitant a livré des fournitures, il doit une garantie transmise propter rem sur les biens en question.

C’est un effet de la vente (art. 1615 de l’ancien Code civil), laquelle se loge dans le contrat d’entreprise consistant à placer ou installer une chose livrée.

Il est aussi courant de stipuler dans le contrat d’entreprise que l’entrepreneur cède au maître de l’ouvrage ses garanties contre son sous-traitant.

Il arrive aussi que dans le marché de sous-traitance, le sous-traitant s’engage à la fois envers l’entrepreneur et le maître de l’ouvrage à exécuter l’ouvrage.

C’est alors un mécanisme contractuel qui règle le recours au deuxième degré. Voyez à ce sujet l’excellente contribuition de Fr. Pinte, « L’action directe dans le contrat d’entreprise : vers une action bidirectionnelle », in S. Vanvrekon (dir.), Actualités en droit de la construction, Larcier UB3, 2023, p. 108).

En dehors de ces situations bien connues, existe-t-il un fondement au recours direct du maître de l’ouvrage contre le sous-traitant ?

La stipulation pour autrui

Que doit faire le sous-traitant, après tout ? Ce que l’entrepreneur principal a promis de faire au maître de l’ouvrage.

L’entrepreneur ne demande finalement rien d’autre au sous-traitant que le résultat voulu par le maître de l’ouvrage.   Economiquement, c’est envers ce dernier que s’engagent les entrepreneurs.

J’ai toujours été séduit par l’idée de la stipulation pour autrui tacite, surtout après le livre 5 qui émancipe, à mon sens, cette notion.

L’article 5.107, alinéa 3, dispose en effet ceci : « Une telle stipulation peut être expresse ou résulter de la nature et de la portée du contrat. »

Ces mots ne sont pas là par hasard.

La portée du contrat de sous-traitance est de reporter sur un tiers, le sous-traitant, le résultat attendu du contrat principal.

Le bénéficiaire final de la sous-traitance reste le maître de l’ouvrage, c’est pour ce dernier que l’entrepreneur fait réaliser par le sous-traitant l’ouvrage qui lui est confié.

Cela signifie que si la sous-traitance est totale, si elle correspond point par point au contrat d’entreprise principal et s’il apparait que les parties ont voulu assurer un achèvement conforme au maître de l’ouvrage, il n’est pas déraisonnable de poser que la portée du contrat de sous-traitance est d’engager le sous-traitant aux côtés de l’entrepreneur.

L’idée d’une stipulation pour autrui tacite au profit du maître de l’ouvrage fait son chemin (B. Kohl, « Section 4. – Relation entre le maître de l’ouvrage et le sous-traitant » in Contrat d’entreprise, 1e édition, Bruxelles, Bruylant, 2016, p. 712)

À l’appui de cette stipulation tacite, on retiendra des éléments comme :

  • La présence obligatoire du sous-traitant aux réunions techniques hebdomadaires et aux états d’avancement mensuels,
  • L’obligation qui lui est faire de rendre compte à l’architecte chargé du contrôle d’exécution,
  • La possibilité pour le maître de l’ouvrage de lui faire directement injonction, ou de lui faire des représentations,
  • La présence du sous-traitant en front line de la réception,
  • Le contenu des obligations dans le contrat de bouwteam,
  • Le report d’obligations dans le contrat de sous-traitance, etc.

Le livre 5 consacre une plus grande autonomie à la stipulation pour autrui.

Elle a perdu son caractère d’exception à l’adage nemo alteri stipulari potest (A. Duriau, « Le contrat, les tiers et les mesures de conservation du patrimoine », in T. Deval, R. Jafferali et B. Kohl (dir.), La réforme du droit des obligations, Larcier, Bruxelles, 2023, p. 535).

D’autre part, cette institution n’est plus nécessairement l’accessoire du contrat principal (op. cité, p. 537).

La jurisprudence sera appelée à consacrer l’évolution fonctionnelle de la sous-traitance comme apport d’un débiteur de résultat au maître de l’ouvrage.

La cession de la créance de l’entrepreneur principal

Lorsqu’une procédure est introduite sur la bonne exécution des travaux, et que la solvabilité de l’entrepreneur principal suscite inquiétude, l’entrepreneur peut céder sa créance contre son sous-traitant au maître de l’ouvrage.

Il faudra alors être attentif à l’article 5.178 relatif à la cession de droits litigieux, en ce sens que la décharge, prix de la cession, doit correspondre à la créance cédée, sauf à stipuler que la cession est faite par l’entrepreneur principal au maître de l’ouvrage en paiement de ce qui lui est dû (art. 5.178, § 2, 2°).

La notion de groupe de contrats

Il existe « un groupe de contrats » lorsque « plusieurs contrats ont un même objet ou participent à la réalisation d’un but commun, de sorte qu’ils possèdent une même raison d’être » (J. Cabay, « L’action du maître de l’ouvrage contre le sous-traitant : action directe et groupe de contrats à l’appui d’une solution », J.T., 2009, p. 770).

Le groupe de contrats représentant un tout, le maître de l’ouvrage (mais également le créancier de celui-ci) serait alors fondé à agir contractuellement contre le sous-traitant.

Il est plus exact de parler de contrat unique, en ce qu’il est global et incorpore les différents instruments, car ils tendent tous vers une même finalité, l’achèvement conforme de l’ouvrage au profit du maître de l’ouvrage.

On pose alors que le principe de la relativité des conventions doit être appréhendé en tenant compte des spécificités de l’espèce et de chaque contrat, l’objectif étant de permettre au créancier de faire sanctionner son droit à charge du prestataire réel, ou des prestataires réels tenus in solidum.

Le Prof. Foriers a timidement lancé cette idée dans l’ouvrage « Groupe de contrats et ensembles contractuels » (De Boeck, L.L.N., 2006, pp. 38), mais revient rapidement sur son audace (même ouvrage, p. 165).

En France, on reconnait la notion d’ensemble contractuel indivisible (Cass., 10 septembre 2015, n° 14-17.772, www.courdecassation.fr), mais pour des effets en matière d’interprétation, de caducité et d’exception d’inexécution.

Cette théorie est intéressante mais elle n’est sans doute pas arrivée à maturité.

Elle requiert une approche holistique et fonctionnelle des contrats réalisant une même opération, et non plus formelle, ce qui est une démarche typiquement positiviste en droit.

Mais malheureusement l’article de Monsieur Cabay au Journal des tribunaux 2009 (p. 765), qui fait une bonne synthèse de la matière, se heurte aujourd’hui à l’article 5.166, § 1, du nouveau Code civil qui exige pour l’indivisibilité, que le créancier ait déjà une action propre contre chaque prestataire.

Mais cette approche mérite d’être défendue : le droit est l’expression normative de la société, il avance au même rythme qu’elle.

La photo : la tour Blaton (A. Vanderauwera, 1966-1968) reflète le soleil couchant sur le bas Sablon à Bruxelles. Tout le monde connait la navrante réputation de cette tour d’une affligeante laideur, élevée à la faveur de la démolition du chef d’œuvre d’art nouveau de Victor Horta (1898), la fameuse Maison du peuple. Tout a été dit sur ce glorieux fait d’arme de la bruxellisation, inutile d’y ajouter mon indignation. Il faut reconnaître qu’à l’époque (1965), c’était cela l’idée du progrès et dans les années ’60, le progrès était une vertu. Maurice Culot qui a recueilli les papiers de Horta pour les Archives d’architecture moderne raconte que chez Blaton (le promoteur de la tour), on se servait des dessins de Horta comme papier d’emballage pour d’autres dossiers. On connait aussi le scandale du sort réservé aux pièces de démolition de la Maison du peuple (les ferronneries ont été vendues par un escroc). Aujourd’hui, c’est tout le contraire : on ne peut plus rien démolir, même le non qualitatif, au nom du principe de l’économie circulaire. C’est aujourd’hui le mouvement inverse. Ainsi dans les prescriptions littérales du PRAS, on trouve souvent la fameuse phrase « les caractéristiques urbanistiques des constructions et installations s’accordent avec celles du cadre urbain environnant. » Autrement dit : architectes, ne faites surtout rien d’original !

Commentaires

facebook comments:

Pas encore de commentaire

Laisser un commentaire

Ce site utilise Akismet pour réduire les indésirables. En savoir plus sur comment les données de vos commentaires sont utilisées.

close