Le contrat d’entreprise est malmené par la hausse du prix des matériaux et fournitures de construction.
La composante énergie des prix induit des hausses générales et un effet d’emballement ou d’opportunité vient compléter le phénomène.
La hausse des prix était déjà sensible en 2021 du fait de la reprise après covid et des problème de transport.
Cette hausse et devenue générale avec l’inflation provoquée, semble-t-il, par la guerre en Ukraine.
Comment réagir lorsqu’entre la conclusion du contrat et le début des travaux, l’entreprise constate qu’elle ne peut plus tenir son prix ?
Ce sera le cas, par exemple, si le démarrage des travaux a été reporté par la nécessité de poursuivre la délivrance d’un permis d’urbanisme ou si l’entrepris était déjà liée par un contrat cadre conclu il y a un an ou deux.
Il faut d’abord déterminer le droit applicable; supposons que le contrat soit gouverné par le droit belge.
A. Le contrat contient un dispositif d’adaptation des prix
Il y a différents types de clauses ayant cet objet : des clause d’indexation, de révision, d’imprévision ou de force majeure.
Excluons la force majeure car le contexte des prix, fut-il imprévisible, ne rend pas impossible l’exécution du contrat par l’entreprise, mais la rend seulement plus onéreuse.
La question est alors de vérifier l’efficacité des clauses d’adaptation, en tenant compte de ce qui suit :
1.
La clause d’indexation est d’un effet limité car elle s’articule sur un indice (indice abex ou indice des prix à la consommation). Ces références ne représentent pas parfaitement l’évolution des prix de la construction.
Ce type de clause est souvent assortie d’un seuil déclencheur, par exemple 3 %. L’indexation intervient lorsque ce seuil de variation est dépassé.
On verra plus loin que l’indice doit être « explicitement » décrit dans le contrat (art. VI.83, 2°, a, du Coe de droit économique).
2.
Les autres clauses d’adaptation ne peuvent présenter un caractère abusif au sens des articles VI.83, 2° et 3° du Code de droit économique (B2C).
Est réputée abusive par ces dispositions une clause permettant à l’entreprise de modifier unilatéralement le prix sans permettre au consommateur de renoncer au contrat.
L’équivalent existe entre particuliers (C2C) à l’article 5.52 du nouveau Code civil.
Dans les relations B2B, c’est l’article VI.91/5, 1°, qui répute abusives les clauses autorisant l’entreprise prestataire à modifier unilatéralement sans raison valable le prix, les caractéristiques ou les conditions du contrat.
Les clauses abusives sont réputées non écrites.
Notez aussi que les clauses d’indexation vues plus haut ne sont pas abusives si le mode d’adaptation du prix est explicitement décrit dans le contrat (art. VI.83, 2°, a).
B. La loi impose ou permet un dispositif d’adaptation des prix
1.
Dans certains domaines, les clauses de révision sont réglementées de manière impérative.
C’est le cas de l’article 57 de la loi du 30 mars 1976 en matière de prix industriels, qui impose la référence à des paramètres objectifs de révision du prix.
De plus la révision à la hausse ne peut pas dépasser 80 % du prix final.
2.
Si le contrat porte sur une vente d’habitation en état futur d’achèvement, ou une vente d’un appartement existant accompagnée de travaux importants, la clause de révision du prix est prévue par défaut par la loi Breyne.
Mais la révision est circonscrite dans l’arrêté d’exécution de cette loi ; la formule de révision est la suivante : p = P (a x s/S +b x i/l +c) et la révision ne peut porter que sur 80 % du prix en tenant compte de deux facteurs, soit :
- Fluctuation des salaires, maximum 50 %,
- Fluctuation des prix de fournitures, pas de maximum mais le tout (salaire et fouritures) ne peut excéder 80 %.
L’article 1, § 2, de l’arrêté prévoit qu’il faut tenir compte de la dernière fluctuation intervenue avant le commencement des travaux faisant l’objet de la demande de paiement partiel.
La logique veut en effet que ce soit au moment où la fluctuation apparait que l’exercice doit être fait.
Après, c’est trop tard et avant cela n’a pas de sens car on ne peut réviser un prix qui n’est pas encore appréciable.
Ce n’est donc pas au moment de la conclusion du contrat qu’il faut se placer mais au moment de son exécution.
3.
Notons aussi les articles 38/7 et 38/2 de l’arrêté royal du 14 janvier 2013 qui réglementent la révision du prix et permet d’appliquer la théorie des sujétions imprévues dans les marchés publics.
C. Le contrat contient un dispositif de déterminabilité du prix
Reste alors la question des clauses qui se situent à la lisière du mécanisme des clauses d’adaptation.
1.
Que penser des évaluations de prix dans le contrat, par poste de type « budget » ou « enveloppe » ?
S’agit-il d’un simple objectif à atteindre au titre de l’obligation de moyen de réaliser l’ouvrage dans tel budget ? ou d’une obligation de résultat, d’une limite obligatoire ?
En droit commun, le prix doit être seulement déterminable ; il peut même être laissé à l’appréciation de l’entrepreneur.
Il y a deux tempérament à ce principe :
- Le principe de l’exécution de bonne foi tempère le droit de l’entreprise d’imposer des prix unilatéralement
- Et l’obligation pour l’entreprise, dans ses rapport avec les consommateurs, de délivrer une information précise sur le prix (art. VI.2).
Par ailleurs, l’interprétation la plus favorable aux consommateur prévaut (art. VI.37).
Aussi, lorsque le client est un consommateur, on incline à penser que l’enveloppe ou le budget est une garantie, un maximum et non un objectif.
Entre des entreprises, il faudra discerner l’intention des parties et, à défaut, appliquer les clauses en question à l’aune de l’exécution de bonne foi.
Cela signifie que si le budget ne correspond pas ou plus au marché, l’entrepreneur ne doit pas s’y tenir mais le maître de l’ouvrage peut renoncer au contrat.
2.
La clause « au prix du jour », permet-elle au maître de l’ouvrage de refuser le prix ou de ne pas poursuivre l’exécution du contrat ?
Sous réserve du droit des consommateurs, tout dépend du référentiel du prix disponible et utilisé.
Si le prix du jour est précis, comparable, objectif et documentée, la convention devra être exécutée telle que complétée par référence au prix du jour.
Si le référentiel suppose une marge d’appréciation, il faut considérer que les parties ont reporté la naissance du contrat à l’étape de la fixation du prix, auquel cas un nouvel accord sera requis pour parfaire la convention.
Cependant, une clause « au prix du jour » peut revêtir un caractère abusif au sens de l’article VI.91/5, 3°, en ce qu’elle place, sans contrepartie, le risque économique sur une partie alors que ce risque incombe normalement à l’autre entreprise.
Et, de fait, c’est généralement l’entrepreneur qui fait le prix et qui dispose de la spécialisation pour le faire.
D. Ni le contrat ni aucune loi spéciale ne prévoient une clause d’adaptation
1.
En ce cas, l’entreprise prestataire doit subir la loi de l’intangibilité de la convention.
Une partie ne peut effet modifier unilatéralement un élément essentiel du contrat comme le prix.
L’article 5.69 du nouveau Code civil reprend le principe bien connu de la convention-loi, selon lequel le contrat valablement formé tient lieu de loi à ceux qui l’ont fait.
Il existe à ce principe deux tempéraments, l’abus de droit et la bonne foi. Ces principes se rejoignent.
L’article 5.71 prévoit en effet que le contrat oblige non seulement à ce qui y est convenu, mais encore à toutes les suites que la loi, la bonne foi ou les usages lui donnent d’après sa nature et sa portée.
La fonction complétive de la bonne foi empêche une partie d’exiger une exécution devenue gravement disproportionnée.
Le refus d’adapter les prix pourrait constituer un abus de droit si l’entreprise est forcée de travailler lourdement à perte, ou à sa ruine ; en ce cas le juge peut adapter le contrat.
Ce sera également le cas, par exemple, lorsque le promoteur bénéficiera de la révision des prix que lui accorde la loi Breyne envers son client, toute en refusant le même régime à son entrepreneur (promotion-vente) ou à son sous-traitant (promotion-entreprise).
L’article 5.73 dispose que « nul ne peut abuser des droits qu’il tire du contrat. » Et ajoute que « toute dérogation au présent article est réputée non écrite. »
Si imposer un prix contractuel dépassé pourrait être abusif, réputer la clause de prix non écrite n’arrange rien.
Mais en réalité la sanction de l’abus de droit réside aussi dans l’article 1.10 du nouveau Code civil : la sanction d’un tel abus consiste en la réduction du droit à son usage normal.
Le juge pourra donc rééquilibrer le contrat.
2.
Enfin, lorsque le contrat est conclu après le 1er janvier 2023, la loi prévoit une possibilité de revoir le contrat pour imprévision.
L’article 5.74 traite du changement de circonstances.
Le principe reste que chaque partie doit exécuter ses obligations quand bien même l’exécution en serait devenue plus onéreuse, soit que le coût de l’exécution ait augmenté, soit que la valeur de la contre-prestation ait diminué.
Toutefois, le débiteur peut demander au créancier de renégocier le contrat en vue de l’adapter ou d’y mettre fin lorsque les conditions suivantes sont réunies :
- un changement de circonstances rend excessivement onéreuse l’exécution du contrat de sorte qu’on ne puisse raisonnablement l’exiger;
- ce changement était imprévisible lors de la conclusion du contrat;
- ce changement n’est pas imputable au débiteur;
- le débiteur n’a pas assumé ce risque; et
- la loi ou le contrat n’exclut pas cette possibilité.
Les parties doivent alors renégocier le contrat tout en continuant à l’exécuter.
En cas de refus ou d’échec des renégociations dans un délai raisonnable, le juge peut adapter le contrat.
L’adaptation se fait en fonction de ce que les parties auraient raisonnablement convenu au moment de la conclusion du contrat si elles avaient tenu compte du changement de circonstances.
E. Les parties modifient le contrat
En matière de contrat d’entreprise, il existe une règle particulière pour adapter conventionnellement le prix de l’ouvrage.
L’article 1793 de l’ancien Code civil dispose que si l’entreprise est au forfait et selon des plans écrits, l’entrepreneur ne peut demander aucune augmentation de prix si ce n’est pas un écrit.
Il s’agit là d’une condition de forme de l’accord de majoration du prix convenu au forfait
Cela s’applique entre le propriétaire (ou le superficiaire) et l’entrepreneur ; pas entre l’entrepreneur et son sous-traitant.
F. Le contrat fixe un prix anormal
On terminera en abordant, pour être complet, la question du prix anormal.
L’article 1er de l’arrêté loi du 14 mai 1946 n’a pas été abrogé.
Cette disposition dit illicite un prix s’il entraîne la réalisation d’un bénéfice anormal (Cass., 25 novembre 1997, Pas., 1997, I, p. 504).
Un tel prix doit être, par hypothèse, étranger au marché. N’oublions pas que l’article V.2du Code de droit économique dispose que « les prix des biens et services sont déterminés par le libre jeu de la concurrence. »
Si le prix pratiqué résulte d’une augmentation générale, l’entreprise reste dans le marché.
Le maître de l’ouvrage ne pourra donc invoquer un bénéfice anormal que si l’adaptation va bien au-delà de l’augmentation du produit concerné.
La photo : un bel immeuble Modern Style à Auderghem, avenue Cardinal Micara 80 et 82 (Cl. Leveque, 1934). J’ai l’impression que les couleurs de façade et les châssis diffèrent, mais ne boudons pas notre plaisir, l’immeuble est superbe. Un aimable habitant du quartier me fait part de ce qui suit : l’architecte serait André Levêque et non Cl. Levêque. Les deux biens diffèrent effectivement car restaurés à des périodes différentes par des propriétaires distincts (avec des architectes et des matériaux distincts).
Bonjour
Pour information l’architecte serait André Levêque et non Cl. Levêque.
Les 2 biens diffèrent effectivement car restaurés à des périodes différentes par des propriétaires distincts (avec des architectes et des matériaux distincts).
Cordialement
(un des propriétaires du 80)