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Carnoy & Braeckeveldt, avocats de l’immobilier à Bruxelles

L’effet suspensif de la force majeure temporaire

Le restaurant est ravagé par une explosion provoquée par une fuite de gaz.

Le bailleur entame des travaux et le locataire commercial n’avait évidemment plus la jouissance des lieux.

Selon le bailleur, l’immeuble avait péri et le bail avait pris fin par force majeure.

Le preneur, au contraire, voyait dans ces évènements une simple suspension du contrat et attendait la remise à disposition.

Finalement, après l’intervention du juge et une fois les travaux terminés, le bail se poursuit et l’exploitation reprend.

Le preneur introduit une demande de prorogation du bail vu la période d’indisponibilité du bien loué.

Pour le tribunal de première instance francophone de Bruxelles, il convient de consacrer une durée effective au délai d’exécution du bail commercial (en l’espèce 18 ans).

En d’autres termes, il faut proroger le bail de la durée de l’indisponibilité car la date d’expiration n’était pas essentielle, au contraire de la nécessité d’assurer une durée effective permettant au preneur d’amortir les investissements réalisés dans les lieux.

La question qui se posait concerne la portée de l’effet suspensif de la force majeure temporaire.

L’exécution des obligations locatives était suspendue, mais le cours du bail était-il aussi suspendu, en sorte que sa durée était prolongée de la période de suspension ?

C’est à cette question que répond l’arrêt de la Cour de cassation du 10 novembre 2022 (rôle n° C.22.0006.F, www.juportal.be).    

Les principes sont connus.

Selon l’article 5.226 du nouveau Code civil, le débiteur est libéré lorsque l’exécution de l’obligation est devenue définitivement impossible par suite de la force majeure.

L’exécution de l’obligation est suspendue pendant la durée de l’impossibilité temporaire.

Quel est l’effet de ce dernier principe sur le cours du bail ? Pour la Cour de cassation :

« S’agissant d’un bail à durée déterminée, lorsque, dans l’intention des parties, la date d’expiration du bail n’est pas essentielle, la durée du bail est prolongée de la durée de la suspension des obligations réciproques. »

Autrement dit, si la force majeure suspend l’exécution du contrat, l’horloge du contrat est aussi suspendue.

Pour autant, bien sûr, que la date d’expiration initialement convenue ne soit pas un élément déterminant de l’intention des parties.

La question était controversée.

Dans ses conclusions, l’avocat général Bénédicte Inghels, résume bien la question :

Faut-il privilégier la conception chronologique du terme, qui déploie une effet purement extinctif de l’obligation, ou la conception chronométrique du terme, qui suppose qu’une quantité d’exécution soit donnée ?

Pour la doctrine majoritaire, comme Monsieur de Page, la portion non exécutée du contrat ne sera pas rattrapée (H. De Page, « Traité élémentaire de droit civil belge », T. IV, Bruylant, Bruxelles, 1973, p. 659, n° 639 a).

Pour d’autres auteurs, comme Monsieur Philippe, c’est bien le contrat qui est suspendu, pas seulement ses obligations (« La force majeure temporaire et la suspension des obligations contractuelles », in Le droit des obligations dans la vie de l’entreprise, Bruges, La Charte 2017, p. 231).

La Cour de cassation adopte une voie médiane. La question se règle par l’intention des parties sur l’effet utile du contrat.

Si la date d’expiration n’est pas vue comme une date butoir et si la durée de la convention répond à son efficacité, amortir des investissements par exemple, il faut prolonger le contrat.

La Cour de cassation belge est essentiellement pragmatique.

Elle va d’abord chercher des solutions dans ce qui motive la construction des parties, avant d’appeler les grands principes.

C’est pourquoi la Cour de cassation privilégie la solution de la prorogation si elle s’inscrit dans la logique du contrat.

Se pose alors la question de l’automaticité de la prolongation : est-elle mécanique ou requiert-elle l’accord des parties sinon l’intervention du juge ?

Elle n’est pas automatique pour le Prof. N. Bernard, et doit être prononcée par le juge (« Dernières tendances jurisprudentielles en matière de bail commercial et le Covid 19 », J.L.M.B., 2021, p. 43).

Or la force majeure tire son effet directement de la loi et non de l’intervention du juge qui ne peut que le constater, pas le créer.

D’un autre côté, si la prorogation suppose l’analyse de la volonté des parties, il faudra bien faire intervenir le juge à défaut d’accord.

Cette question est très important en matière de baux commerciaux car la durée du bail a des effets sur les délais.

Il faut très précisément déterminer la date d’expiration du bail pour exercer le droit au renouvellement, par exemple.

S’il existe une prorogation, le calcul du délai sera différent.

Or bien des baux commerciaux ont fait l’objet d’aménagement lors de la période du covid-19.

Il est souvent arrivé que le bailleur ait consenti des remises de loyer au motif de la force majeure. Quid alors de la durée du bail ?

On ne peut donc que conseiller au preneur de saisir le juge pour déterminer précisément s’il y a eu prorogation et de quelle durée.

La photo : une belle maison moderniste à Uccle, 44 avenue de la Sapinière (1938), appelée la « Maison Gailly », du nom de la demoiselle qui la fit bâtir. La maison est à l’inventaire du patrimoine architectural mais on n’en connait hélas pas l’architecte dont le nom n’est pas mentionné sur les plans. Elle a été assez heureusement rénovée en 2021.

Maison Gailly
Maison Gailly

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